N° 093 «L’Occident veut-il offrir la Russie aux Chinois?»

Chronique de René GIRARD publiée dans Le Figaro le 10 juin 2019

CHRONIQUE – À l’occasion de son passage à Moscou, XI JINPING a vanté la solidité du partenariat stratégique Chine-Russie, précisant qu’il n’avait jamais été aussi étroit dans l’histoire contemporaine.

Célébrant, le 6 juin 2019, le 75e anniversaire de leur débarquement en Normandie, les grandes puissances occidentales alliées avaient invité l’Allemagne aux festivités, mais n’avaient envoyé aucune invitation à Moscou. C’est pourtant l’armée russe qui a détruit 80 % des divisions hitlériennes au cours de la Seconde Guerre mondiale (avec l’appui des Occidentaux en équipements et en renseignement). Vladimir Poutine ne s’est pas offusqué publiquement de cette goujaterie diplomatique. Il avait en effet mieux à faire ce jour-là: il recevait le président chinois au Kremlin.

XI JINPING a salué le président russe comme un ami personnel et il a vanté la solidité du partenariat stratégique Chine-Russie, précisant qu’il n’avait jamais été aussi étroit dans l’histoire contemporaine. Les Russes ont annoncé qu’ils choisissaient la technologie Huawei pour équiper leurs futurs réseaux 5G. Accusé de dumping et d’espionnage, le géant chinois des télécommunications vient d’être mis sur une liste noire par le gouvernement des États-Unis, qui veut interdire aux entreprises américaines tout commerce avec lui.

Lorsqu’il était à la tête de la diplomatie américaine et qu’il négociait à la fois l’ouverture de relations diplomatiques avec la Chine populaire et le ralentissement de la course aux armements nucléaires avec la Russie soviétique, Henry KISSINGER avait élaboré sa célèbre doctrine du triangle Washington-Pékin-Moscou.

Il fallait, selon lui, que l’Amérique, dans sa politique étrangère, s’arrange toujours pour être politiquement plus proche de la Chine et de la Russie, que les deux puissances asiatiques entre elles. Ce n’est plus du tout le cas aujourd’hui. En poursuivant des politiques punitives envers ces deux nations (sanctions personnelles et commerciales contre la Russie depuis 2014 ; droits de douane prohibitifs et boycott technologique contre la Chine depuis le printemps 2019), les États-Unis ont «réussi» à les jeter dans les bras l’une de l’autre.

Il y a cinquante ans, l’Amérique intervenait diplomatiquement auprès de la Russie pour qu’elle renonce à employer des missiles nucléaires tactiques dans sa confrontation frontalière avec la Chine sur le fleuve Oussouri. Aujourd’hui, on voit la Russie dépêcher vers le sud les navires de sa flotte du Pacifique, afin de soutenir la Chine.

Comme l’a montré un incident de quasi-collision le 7 juin 2019, la marine russe va provoquer en haute mer les navires de la 7e flotte américaine, dont la mission est d’empêcher la Chine d’accaparer les eaux de la mer de Chine méridionale (grande comme la Méditerranée, longeant également les Philippines, Brunei, la Malaisie et le Vietnam). La flotte chinoise a commencé timidement à se montrer en Méditerranée. Mais c’est sans timidité aucune que la flotte russe vient soudain épauler son allié chinois dans le Pacifique.

La Chine est un rival stratégique pour les États-Unis

La Chine est un rival stratégique pour les États-Unis. La Russie ne l’est plus, car son économie est sept fois inférieure à l’économie américaine. La Russie demeure néanmoins une grande puissance militaire ; les ressources naturelles de Sibérie sont gigantesques. Les Occidentaux commettent donc une faute stratégique cardinale à pousser dans les bras des Chinois cette nation qui, depuis Pierre le Grand, est de culture européenne.

On ne dira jamais assez le tort qu’ont fait les idéologues néoconservateurs américains aux intérêts de l’Occident. En sabotant les accords politiques intra-ukrainiens du 21 février 2014 (pourtant parrainés par la France, l’Allemagne et la Pologne), ils ont provoqué la réaction des Russes en Crimée. POUTINE a-t-il eu raison, ensuite, d’intervenir au Donbass à l’été 2014 pour y soutenir le séparatisme anti-Kiev? Certainement pas.

Mais cette faute du Kremlin ne justifie pas pour autant l’ostracisme de la Russie par les Occidentaux, qui l’ont chassée en 2014 du G8. Kissinger savait négocier avec les Russes et les Chinois tout en se montrant ferme sur les désaccords qu’il entretenait avec eux. Les néoconservateurs sont des manichéens, qui voient tout en noir ou tout en blanc.

Juchés sur leurs ergots moralisateurs, ils sont incapables de construire un dialogue pragmatique. Le boycott diplomatique de la Russie est une grave erreur des Occidentaux, qui ont besoin d’elle dans le Pacifique. Nous reproduisons l’erreur du traité de Rapallo, signé en avril 1922 entre les Allemands et les Russes, que nous boycottions diplomatiquement. RATHENAU avait alors obtenu de TCHITCHÉRINE des camps secrets d’entraînement en Russie pour l’aviation et l’arme blindée des Allemands…

Tout en continuant à aider militairement ses alliés de l’Otan (notamment Baltes), Paris doit impérativement renouer des liens d’amitié avec la Russie. Pour, un jour, la ramener dans la famille européenne, qu’elle n’aurait jamais dû quitter.

[Le 13 juin 2019, 18 H55, A. B., Les Sables d’Olonne] : L’Iceo est trop enclin à reprendre sans critique la propagande poutinienne.  Les Russes ont-ils envie et intérêt à s’offrir aux Chinois ? Attelage un peu disproportionné dont ils seraient les premières victimes.

Arrêtez moi où je fais un malheur ? Chiche !  Ils évacuent l’Ukraine d’abord. On verra ensuite. La Russie a plus besoin de  » l’Occident » que l’inverse.

[Le 11 juin 2019, 10 H25, A. G., Narbonne] :  Le traité de Rapallo est totalement méconnu de la plupart des politiques américains et européens.