N° 128 «Quand les catholiques étaient des citoyens de seconde classe»

À l’heure des polémiques sur le voile islamique, il n’est pas sans intérêt de raconter les mesures d’exception dont furent victimes les catholiques français entre 1880 et 1914.

Article de Guillaume PERRAULT, publié le 17 octobre 2019 dans Le Figaro

Imaginons que, par malheur, un gouvernement français tienne demain ce discours au pays: «Nous avons décidé qu’aucun musulman pratiquant n’aura le droit de devenir ministre. Il sera impossible aux citoyens de cette confession d’exercer les fonctions de directeur d’administration centrale dans la plupart des ministères ou de recteur d’académie. Le Conseil d’État interdira aux imans de se présenter à l’agrégation de philosophie. Les musulmans et musulmanes qui choisiraient de vivre en congrégations religieuses seront expulsés de leurs cloîtres par l’armée et acculés à l’exil s’ils prétendent rester fidèles à leurs vœux.»

On imagine la réaction d’horreur, fort légitime, que susciterait pareil programme de gouvernement. Or, les mesures d’exception que l’on vient de décrire, les catholiques français les ont subies, entre 1880 et 1914, et singulièrement lors du ministère Émile COMBES (1902-1905). À l’heure des polémiques sur le voile islamique, il n’est pas sans intérêt de le raconter.

Assimilés à des partisans de la monarchie, les catholiques français furent considérés, par les républicains, à partir de 1879, comme des ennemis de l’intérieur. Deux politiques à leur égard doivent être distinguées. La première visait à soustraire la vie publique et sociale à toute influence sinon religieuse, du moins cléricale. La loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État représente l’aboutissement de ce dessein. Mais pour atteindre cet objectif, les républicains n’ont pas hésité à mettre en œuvre des mesures d’exception portant gravement atteinte aux droits des catholiques en tant que citoyens, et justifiées par un discours de salut public hérité de la Révolution française.

À partir de 1879, une règle implicite exclut du gouvernement tout catholique pratiquant. Il fallut la Grande Guerre pour que cesse cet ostracisme. Encore les républicains ne se sont-ils résignés à faire siéger un catholique (Denys COCHIN, le père du grand historien Augustin COCHIN) au Conseil des ministres qu’en octobre 1915, une fois l’illusion d’une victoire rapide dissipée, alors que les socialistes révolutionnaires (Jules GUESDE, Marcel SEMBAT) avaient eu cet honneur dès août 1914.

De douloureux cas de conscience se posaient aux catholiques.

À la Chambre siégèrent certes des catholiques. Citons la haute figure d’Albert de MUN, qui voua sa vie à la question sociale, ou l’abbé Lemire, promoteur des jardins ouvriers. Mais les députés catholiques ralliés à la République en 1892 à la demande du pape Léon XIII furent toujours regardés avec suspicion par la gauche. Celle-ci, s’estimant propriétaire du label et en droit de délivrer ou refuser des certificats d’admission, n’adoubait comme républicains authentiques que ceux qui acceptaient non seulement la nature du régime, mais encore l’intégralité de sa politique anticléricale.

Dans le pays, de douloureux cas de conscience se posaient aux catholiques. Le père du futur général DE GAULLE, alors fonctionnaire au ministère de l’Intérieur, démissionne en 1884 pour ne pas cautionner la première expulsion des congrégations. Certains hauts postes de l’administration civile sont interdits de facto aux catholiques. Un professeur de philosophie à la rue d’Ulm, Léon OLLÉ-LAPRUNE, est suspendu par Jules FERRY pour avoir signé un manifeste contre l’expulsion des Carmes. Des catholiques qui choisissent l’armée pour servir la France sans cautionner la République se voient souvent, quoique pas toujours, pénalisés dans leur carrière.

Après les législatives de 1902, Émile COMBES, soutenu par le «Bloc des gauches», accuse congrégations et écoles catholiques d’être l’âme d’un complot antidreyfusard alors que, au sein du monde catholique, seuls les assomptionnistes s’étaient distingués par leur antidreyfusisme à caractère antisémite. Le Parlement interdit des centaines de congrégations (chartreux, franciscains et capucins par exemple). Le gouvernement enjoint à ces moines et ces bonnes sœurs de rompre leurs vœux de vie monastique et de se disperser. Il envoie l’armée dans les monastères pour expulser leurs habitants et les fermer. Les biens des ordres monastiques interdits sont placés sous séquestre et vendus aux enchères. La Ligue des droits de l’homme applaudit, entraînant la démission d’un de ses fondateurs, le catholique Paul VIOLLET. L’État interdit de surcroît les congrégations enseignantes et ferme 14.000 écoles catholiques. Quelque 30.000 à 60.000 religieux des deux sexes sont contraints à l’exil pour rester fidèles à leurs vœux et survivre.

À l’heure où fleurissent les déclarations sur la «haine anti-musulmane» et «l’islamophobie» que traduirait l’opposition au port du voile islamique par des parents accompagnant des sorties scolaires ou dans l’enceinte d’assemblées élues, rappeler ce que vécurent les catholiques en France au début du XXe siècle n’est donc pas indifférent et invite à s’exprimer avec mesure sur les polémiques du moment.

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[Le 2 novembre 2019, 15 H35, J. V., Notre-Dame-de-La Rouvière] : La laïcité dans notre commune est venue avec l’armée.