
N° 307 «Le mauvais goût d’un artiste rappelle la glorieuse histoire de Marengo!»
ENTRETIEN – À l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon.
Par Yves THRÉARD Publié dans Le Figaro le 2 mai 2021

ENTRETIEN – À l’occasion du bicentenaire de la mort de Napoléon, l’écrivain égyptien revient sur les traces qu’a laissées l’expédition en Orient.
«BONAPARTE est un pur produit du siècle des Lumières, qui avait une représentation de Mahomet totalement opposée à celle des historiens du Moyen Âge», explique Ahmed YOUSSEF.
Journaliste et historien, Ahmed YOUSSEF est l’auteur de plusieurs livres sur le monde arabe: BONAPARTE et Mahomet, L’Orient de Jacques CHIRAC, Le Phare d’Alexandrie, Le Conflit israélo-arabe, Alexandrie et Nos Orients, ouvrage cosigné avec Jean LACOUTURE… À l’automne, paraîtra Le Lieutenant BOUCHARD, découvreur de la pierre de Rosette, héros malgré lui.
LE FIGARO. – La commémoration du bicentenaire de la mort de Napoléon est un sujet de controverse en France. S’y ajoute maintenant la polémique autour de la représentation, en plastique, au-dessus de la tombe de l’Empereur aux Invalides, du squelette de son cheval, Marengo. Cette histoire renvoie à la campagne d’Égypte de BONAPARTE…
Ahmed YOUSSEF. – Paradoxalement, le mauvais goût de l’artiste nous rend service en nous rappelant la fantastique histoire de ce cheval égyptien. Dans le haras impérial, plusieurs chevaux étaient égyptiens. Ils portaient des noms rappelant leur origine: Effendi, Suez, Aly, Sultan, etc. Mais seul Marengo est entré dans l’histoire car il réunit les deux visages du grand homme – le général et l’Empereur – et les deux mondes dans lesquels son épopée s’est tissée: l’Orient et l’Occident. Marengo est entré dans la légende aux derniers jours de BONAPARTE en Égypte, lors de la bataille terrestre d’Aboukir, le 25 juillet 1799, quand il a écrasé l’armée ottomane. BONAPARTE avait besoin de cette victoire pour venger le désastre d’Aboukir, où sa flotte fut anéantie par NELSON, et pour rentrer en France la tête haute.
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C’est lors de cette glorieuse journée que le cheval fut capturé. Le vainqueur a un coup de foudre pour cet équidé, qui s’appelait alors Aboukir, et qu’il ramène, peu après, en France. Puis Aboukir va changer de nom avec la victoire de BONAPARTE, à Marengo, en Italie, le 14 juin 1800. Une fois devenu empereur, Napoléon fit de Marengo sa monture préférée. Cet entier était capable de galoper à jeun pendant cinq heures. À Waterloo, Marengo avait déjà 22 ans et portait les stigmates des guerres napoléoniennes. Il fut capturé par les Anglais et transféré en Angleterre où il fut mis en vente. On raconte que Mohamed ALI d’Égypte, admirateur de Napoléon, a voulu l’acheter mais les Anglais n’ont pas accepté de peur qu’il soit détourné en France. Marengo est mort en 1831. Son squelette est exposé au musée de l’Académie royale militaire de Sandhurst, à Chelsea.
BONAPARTE revient d’Égypte avec Marengo, mais aussi avec le mamelouk ROUSTAM…
Oui, il devient son garde du corps. ROUSTAM est né en Géorgie d’une famille arménienne. Les mamelouks étaient, selon une tradition datant du IXe siècle, des chrétiens islamisés, achetés en Asie centrale par des grandes familles musulmanes d’Orient. ROUSTAM est recommandé à BONAPARTE par un dignitaire du Caire qui a pris son parti. ROUSTAM suivra son chef partout pendant quinze ans, mais refusera de le suivre à l’île d’Elbe. Napoléon, fâché, ne le reprendra pas pour les Cent-Jours et le fera même enfermer à Vincennes. ROUSTAM, marié à une Française, est mort en 1845 à Dourdan.
La campagne d’Égypte est effectivement un premier acte vers l’ère du colonialisme occidental
Les interprétations des historiens français concernant l’expédition d’Égypte ont varié en deux siècles en France. Quelle est la vôtre?
La thèse d’un quelconque complot du Directoire pour éloigner BONAPARTE n’est pas vraiment étayée. Sur l’interprétation «colonialiste», on peut dire que la campagne d’Égypte s’inscrit d’abord dans un contexte de vive hostilité entre la France révolutionnaire et l’Angleterre. Les Français voulaient barrer la route des Indes aux Anglais en faisant main basse sur l’Égypte. De ce fait, cette campagne est effectivement un premier acte vers l’ère du colonialisme occidental.
Rappelons que le choix de l’Égypte n’est pas une surprise, car sa conquête est préconisée par des rapports de consuls français en Orient et de philosophes comme LEIBNIZ, qui a présenté, en 1675, à Louis XIV un fascinant projet de conquête intitulé Consilium Aegyptiacum. La réponse du roi fut cinglante: «La conquête de l’Égypte n’est plus à la mode depuis saint Louis.» Louis XV envoie le baron de TOTT pour voir si la conquête est possible. Le baron était accompagné d’un drogman – interprète, dans l’Empire ottoman – qui s’appelait Venture de PARADIS. Ce Marseillais deviendra ensuite le traducteur de BONAPARTE. Il est l’aïeul de la comédienne Clémentine CÉLARIÉ !
Que reste-t-il de l’expédition de BONAPARTE aujourd’hui en Égypte?
Tout ce qui est européen est né de la campagne de BONAPARTE. Au Caire, vous ne trouverez aucune trace de la campagne militaire, mais, dans la vieille ville, il y a la rue MONGE, où se situait la maison des savants ; vers la place Tahrir se trouve l’Institut d’Égypte, institution qui regroupe l’élite scientifique du monde arabe. Enfin, toute une science est née de l’expédition, une science appelée à changer la face de l’Égypte: l’égyptologie. La découverte de la pierre de Rosette par l’officier BOUCHARD, le 19 juillet 1799, va ouvrir la voie à CHAMPOLLION pour déchiffrer les trois hiéroglyphes et faire ainsi parler toute une civilisation. Enfin, l’Égypte doit le canal de Suez à BONAPARTE. Parmi les ordres donnés par le Directoire, celui de percer un canal reliant la Méditerranée à la mer Rouge figure en tête.
Beaucoup a été écrit sur la vision qu’avait BONAPARTE de l’islam. Qu’en est-il?
BONAPARTE est un pur produit du siècle des Lumières, qui avait une représentation de Mahomet totalement opposée à celle des historiens du Moyen Âge. L’image du Prophète ennemi du christianisme a été remplacée par celle du conquérant éclairé et bâtisseur d’empire. Cela a démarré en 1647 avec la première traduction intégrale du Coran par le consul de France à Alexandrie, André du RYER. Celui-ci a présenté le Prophète sous les traits d’un homme de sciences et de tolérance.
Peu après, Claude-Étienne SAVARY, grand voyageur romantique français, en fait un grand législateur et un conquérant, bâtisseur de civilisation. Cette image va avoir un impact majeur sur BONAPARTE. C’est dans cet état d’esprit qu’il est parti à la conquête de l’Orient musulman. Sur place, il respecte les coutumes locales et crée le Divan, une assemblée d’oulémas d’un islam «républicanisé». Ce fut le premier levier français pour fonder un islam libéré du joug de l’Empire ottoman.
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C’est le personnage du Prophète qui fascinait BONAPARTE, plus que la religion elle-même. Dans sa correspondance égyptienne, on découvre son enthousiasme pour la conversion du général MENOU, mais aussi ses multiples échanges épistolaires avec le chérif de La Mecque, les deys de Tunis et d’Alger, les sultans de Darfour et de Mascate. Cette diplomatie musulmane du futur Napoléon Ier ne pouvait que s’inscrire dans un grand plan de l’Empire – dans Les Orientales, Victor HUGO le décrit comme «un Mahomet d’Occident». Le projet n’a pas abouti, mais il sera repris par son neveu, Napoléon III, avec son idée de fonder un «royaume arabe de la France».
Dans les relations contemporaines entre la France et l’Égypte, cette expédition a-t-elle laissé des traces?
Des traces scientifiques et culturelles, surtout. Si on parle d’égyptomanie française, on peut parler de francomanie nilotique. Il existe une réelle passion pour la langue et la culture françaises. Quand le président SISSI a décidé de créer un nouveau canal de Suez, à son inauguration, le seul président occidental présent était HOLLANDE. MACRON a choisi d’inaugurer son mandat à la pyramide du Louvre: quel symbole! Même le président NASSER, père du nationalisme arabe, avait une fascination particulière pour l’expédition de BONAPARTE, qu’il raconte dans son livre Philosophie de la révolution. Victor HUGO disait: «La fable est le ciel de l’histoire.» Ce bicentenaire est probablement, en ces temps de pandémie, la part du rêve appelée à nous consoler…
[Le 5 mai 2021, 7H55, É. M., Ajaccio] : Qu’il soit fêté dans sa maison – L’enfant prodigue de la gloire – Napoléon, Napoléon – L’enfant prodigue de la gloire – Napoléon, Napoléon
Plus tard après les pyramides – Dans nos murs il revint encore – Avec les mameluks, les guides – LANNES, MURAT, l’état-major