N° 322 Ça a la couleur de la démocratie, le goût de la démocratie… mais est-ce encore et toujours de la démocratie?

Où est le droit des peuples à se gouverner eux-mêmes?

En partant de rien dans les années 70, le Front national, devenu Rassemblement national, est aujourd’hui l’une des trois plus grandes formations politiques françaises. Ni l’extrême-gauche, ni les écologistes n’ont réussi à s’implanter autant dans la France entière (DOM-TOM compris).
La montée du FN-RN est concomitante de la quasi-disparition du Parti Communiste. Ce fait est aujourd’hui incontestable, et de moins en moins contesté. L’électorat populaire qui, jadis, votait communiste, s’est aujourd’hui massivement rallié au FN-RN. Cette évolution de 1974 à 2012 ne fait que se confirmer d’élection en élection.

Participation :

84,23 %

 

Élections présidentielles le 5 mai 1974

Participation :

87,33 %

 

Élections présidentielles le 19 mai 1974

Participation :

82,78 %

 

Élections législatives le 12 mars 1978

Participation :

84,66 %

 

Élections législatives le 19 mars 1978

Participation :

48,71 %

 

Élections législatives le 11 juin 2017

Participation :

42,64 %

 

Élections législatives le 18 juin 2017

La montée du FN-RN est également concomitante de l’augmentation continue des taux d’abstention aux élections. Pour les élections législatives, le taux est passé d’un minimum record de 15,33% en mars 1978 à 57,35% en juin 2017.

Après 1981, après l’élection de François MITTERRAND, après la disparition de la gauche tribunitienne, les Français les plus modestes  se sont sentis totalement incompris et abandonnés, par les classes politiques auxquels ils accordaient traditionnellement leurs suffrages.

Après la mise en route de l’opération SOS racisme ils se sont sentis injustement diffamés, par la plupart de leurs élus. Enfin, après le référendum de 2005, et après la signature du traité de Lisbonne en 2009, ils ont compris que leurs votes étaient méprisés.

Face à cet amer constat, les électeurs ont adopté deux attitudes différentes, mais ils envoient à leurs élus un même message.

Les plus radicaux et les plus désespérés choisissent l’abstention, en refusant de se prêter à ce qu’ils considèrent comme une « mascarade à visage démocratique ».

Les optimistes invétérés choisissent d’aller voter, mais pour des partis qui ne les ont pas encore trahis (faute d’avoir pu encore le faire?).

Je n’aime pas les communistes parce qu’ils sont communistes. Je n’aime pas les socialistes parce qu’ils ne sont pas socialistes.

Charles de GAULLE

Tous les électeurs populistes ne connaissent probablement pas les mots que l’on prête au Général de GAULLE, mais tous font la preuve, par leur comportement, qu’ils partagent sa façon de juger le monde politique français.

Je n’aime pas les gens de gauche, parce qu’ils sont de gauche. Je n’aime pas les gens de droite parce qu’ils ne sont pas de droite.

Voilà résumé simplement et « gaullistement » la pensée de l’électeur populiste moyen.

Le suffrage universel n’est respecté, que s’il reste respectable

À la veille du premier tour  des élections régionales et départementales, le dimanche 20 juin 2021, les responsables politiques des partis, qui ont gouverné la France pendant des dizaines d’années, et qui perdent depuis aussi longtemps des électeurs, se lamentent à la lecture des sondages qui prévoient des taux d’abstentions records, et de possibles victoires électorales des listes du Rassemblement national.

Ils se montrent horrifiés devant le comportement de tant de leurs anciens électeurs, devenus les suppôts du racisme, de la xénophobie, de l’europhobie, etc.

Comme un mari que sa femme a quitté, l’élu délaissé par ses électeurs, ne veut comprendre leur infidélité que comme la preuve de leur ingratitude et leur malignité foncière.

 » Là où il n’y a pas de peuple, il n’y a aucun risque de populisme, voir Monaco, le Quatar, etc! »

Pour Hubert VÉDRINE : « Le populisme c’est l’échec des élites« .

Le record de participation électorale sous la Ve République, tous scrutins confondus, a été atteint le 19 mai 1974, lors du deuxième tour des élections présidentielles avec 87,33% de votants par rapport aux inscrits.

Lorsque les électeurs sont intimement convaincus que chacun de leur vote a de l’importance (« that each of their ballots matters ») ils répondent toujours à l’appel du suffrage universel. Preuves en apportent, hors de France, les dernières consultations  électorales au Royaume-Uni en 2019 et en Suisse en 2021.

Lorsque les électeurs savent d’expérience, que leurs dirigeants ne tiendront aucun compte des suffrages qu’ils auront exprimés, la seule façon qu’il leur reste pour manifester leur opposition au pouvoir est de s’abstenir massivement de voter. Preuve en est la dernière consultation électorale en Algérie.

Lorsque la confusion est installée dans le paysage politique, quand il est totalement impossible de connaître pour de nombreux candidats leurs convictions profondes, à droite, à gauche, ou en même temps, il n’est pas étonnant que les électeurs hésitent avant de faire l’effort d’aller voter. D’où les prévisions pessimistes en ce qui concerne la participation aux élections en France demain dimanche.

 

Participation :

67,52 %

 

Élections générales le 12 décembre 2019

Le Parti conservateur de Boris JOHNSON, dont le slogan de campagne était « Get Brexit done » (« Finissons le Brexit »), qui disposait d’une majorité relative à l’issue de scrutin précédent, a remporté cette fois la majorité absolue des sièges (365/650).

Les conservateurs ont enregistré leurs meilleurs résultats depuis Margaret THATCHER en 1987.

Participation :

23,03 %

 

Élections législatives le 12 juin 2021

Le taux de participation aux élections législatives du samedi 12 juin 2021 a atteint un niveau historiquement bas : 23,03%. Sur plus de 24 millions d‘électeurs, l’Autorité nationale indépendante des élections (ANIE) a fait état de 5,6 millions de votants, dont plus de 1 million de bulletins blancs.

Participation :

59,63 %

 

Votation populaire le 13 juin 2021

Lors de la votation populaire du dimanche 13 juin 2021, les citoyens suisses de tous les cantons se sont exprimés sur cinq objets.Selon les questions et les différents cantons, les taux de participations oscillent entre une valeur minimale de 48,63%. (Tessin) et une valeur maximale de 73,11% (Schaffhouse) [voir tous les résultats].

Pour toute la Suisse, le taux moyen de participation à la votation est supérieur ou égal à 59,63%.

Prévision :

39,00 %

 

Élections régionales les 20 et 27 juin

Plus de 45 millions d’électeurs sont appelés aux urnes les dimanches 21 et 27 juin 2021, la plupart pour deux élections en même temps, les régionales et les départementales. Combien vont effectivement répondre à cet appel ? Les observateurs et observatrices ne sont pas très optimistes.

L’institut de sondage Viavoice pour BFMTV avancent les plus noires prévisions: il pourrait y avoir un taux de participation inférieur à 40%.

Dans l’Union européenne la participation aux élections est faible.

Taux de participation aux élections européennes des 27+1 pays  de l’UE depuis 1979

On doit citer le triste record établit par les Slovaques en 2014, avec un taux de participation aux élections européennes de 13,05%. La même année la moyenne des 28 pays n’était que de 42,61%

Ces procès contre le droit des peuples européens à se gouverner eux-mêmes (article original).

Le Figaro, le 14 juin 2021

TRIBUNE – La Cour de justice de l’Union européenne veut mater tous ceux qui résistent à sa vision hégémonique du droit européen, qu’il s’agisse de la Cour constitutionnelle allemande ou des gouvernements et Parlements hongrois et polonais. Deux affaires cruciales illustrent ce conflit entre la primauté du droit européen et la démocratie, expliquent le professeur de droit public à l’université Rennes-I et l’ancien secrétaire général du Conseil constitutionnel.

Par Anne-Marie LE POURHIET, vice-présidente de l’Association française de droit constitutionnel et Jean-Eric SCHOETTL, conseiller d’État honoraire.

L’Euro 2021 ne se joue pas que sur les terrains de football. Des matchs dé-coiffants se déroulent aussi dans les prétoires européens. D’un côté, la démocratie ; de l’autre, des instances supranationales.

Le premier match oppose la Commission européenne à l’Allemagne. La procédure de «manquement» au droit européen engagée par la première contre la seconde vise la position prise par la Cour constitutionnelle de Karlsruhe sur la politique de «quantitative easing» conduite par la Banque centrale européenne. La Cour de Karlsruhe a en effet osé, dans un arrêt du 5 mai 2020, faire prévaloir un principe démocratique intangible, inscrit dans la Constitution allemande (la souveraineté populaire en matière budgétaire et monétaire), sur celui de «primauté du droit européen», d’abord dégagé par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, puis inscrit dans la très alambiquée déclaration annexe no 17 au traité de Lisbonne.

Comble de sacrilège, les juges constitutionnels allemands ont estimé que la Cour de Luxembourg avait violé les traités qu’elle est chargée d’appliquer et commis un excès de pouvoir «objectivement arbitraire», en s’abstenant de «prendre en compte des principes communs aux ordres juridiques nationaux». Le tribunal constitutionnel allemand réaffirme ainsi sa jurisprudence selon laquelle les États membres «restent les maîtres des traités». Et les juges de Karlsruhe d’interdire formellement aux organes constitutionnels, administratifs et juridictionnels allemands de prêter la main aux excès de pouvoir de la Banque centrale européenne cautionnés par la Cour de justice de l’Union européenne.

Juge et partie

Au-delà du programme d’achats de titres publics sur les marchés, qui faisait l’objet du litige, l’impact politique est colossal. L’arrêt s’inscrit dans une série déjà ancienne de décisions de la Cour de Karlsruhe affirmant que le siège du pouvoir démocratique se trouve dans les peuples des États membres et dans les Parlements nationaux qui les représentent.

Rigoureux, austères et solennels, les membres de la Cour suprême allemande n’ont rien d’hurluberlus échevelés ni de populistes sanguins. En décidant d’engager une procédure en «manquement» contre l’Allemagne en raison de la position prise par ses juges constitutionnels, la Commission européenne traite cependant ceux-ci en vilains chahuteurs de la classe européenne. Surtout, elle demande à la Cour de justice de l’Union européenne de se faire à la fois juge et partie pour trancher un nœud gordien entre démocratie et institutions supranationales.

En affirmant que «le dernier mot en droit européen est toujours prononcé à Luxembourg et nulle part ailleurs», Mme von DER LEYEN implique que la souveraineté des États membres se serait définitivement évaporée au profit de l’Union, même lorsqu’un organe européen outrepasse manifestement ses compétences (ce qui arrive de façon récurrente à la Cour de justice de l’Union européenne en matière d’ordre public, de sécurité et de défense). C’est ignorer la souveraineté nationale et la volonté populaire que les Constitutions nationales s’obstinent à proclamer. C’est aussi méconnaître l’article 4 du traité européen, qui affirme que l’Union «respecte l’identité nationale des États membres inhérentes à leurs structures fondamentales politiques et constitutionnelles».

Idéologie dominante

Le second match oppose en apparence le Parlement de Strasbourg à la Commission. Il constitue en réalité une offensive des eurodéputés «progressistes» contre les États d’Europe centrale qui, ayant l’outrecuidance de «considérer encore qu’ils ont une identité» (comme le dit Chantal DELSOL dans Le Figaro du 12 juin), n’ont pas abdiqué leur souveraineté, notamment en matière sociétale ou migratoire.

La résolution du Parlement européen du 10 juin dernier, relative à la conditionnalité des aides attribuées dans le cadre du plan de relance européen, enjoint à la Commission d’activer les procédures de sanction politique et financière, notamment contre la Hongrie et la Pologne, pour atteintes à l’État de droit. Elle menace la Commission d’une procédure en carence devant la Cour de justice de l’Union européenne si elle n’obtempère pas.

Cette résolution traduit la distorsion de la notion d’État de droit qu’opère l’idéologie dominante au sein des institutions européennes. Selon les auteurs de la résolution, les atteintes à l’État de droit commises par les pays membres incriminés tiendraient en des «attaques contre la liberté des médias et des journalistes, les migrants, les droits des femmes, les droits des personnes LGBT et la liberté d’association et de réunion». Chacun de ces griefs appellerait un examen particulier, mais aucun n’a rien à voir avec la bonne exécution du plan de relance européen post-Covid, ni avec le bon emploi des fonds européens et la prévention de leur détournement. De la défense des «intérêts financiers» de l’Union (qui est l’objet normal des «conditionnalités» assortissant les aides européennes), on passe, par un saut conceptuel aussi périlleux que symptomatique, au programme multiculturel. Les résultats du vote font clairement apparaître les lignes de clivage, notamment parmi les eurodéputés français.

Droit des peuples

Sous un habillage juridique approximatif, l’idéologie qui inspire ce chantage s’est infiltrée dans les institutions européennes par un lobbying intensif pratiqué par des ONG militantes qui donnent le la. La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne s’imprègne de leurs agendas et vole à leur secours. N’a-t-elle pas condamné la loi hongroise soumettant à des obligations de transparence les associations recevant des fonds étrangers?

Le lien entre les deux procédures qu’on a présentées est patent. La France doit les suivre attentivement, car sa propre souveraineté et son modèle républicain sont en jeu. Nos intérêts fondamentaux sont déjà menacés par les positions de la Cour de justice de l’Union européenne relatives au temps de travail dans les armées ou à l’exploitation des données de connexion aux fins de sécurité, sans que nos juridictions nationales opposent à ces excès de pouvoir en matière régalienne le veto mis par la Cour de Karlsruhe en matière monétaire. Notre conception de la laïcité est également dans le collimateur d’une vision multi-culturaliste anglo-saxonne qui, déjà fortement importée sur notre sol, est majoritaire dans les enceintes européennes et internationales.

Comme les juges allemands, les républiques d’Europe centrale se prévalent de leur identité nationale, du pacte fondamental passé avec leurs peuples dans leurs Constitutions respectives et de la volonté démocratiquement exprimée dans les urnes par la majorité de leurs citoyens.

Ce qui est en jeu, dans les deux procédures engagées, n’est autre que le respect du droit des peuples à se gouverner eux-mêmes.

RAPPEL :

[Le 19 juin 2021, 23 H45, J-M R., Alet-les-Bains] :  Le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a eu son heure de gloire et de légitimité chaque fois qu’un peuple d’Afrique, d’Asie ou du Moyen-Orient a revendiqué son indépendance contre ses anciens colonisateurs, surtout lorsque ceux-ci étaient européens. Par contre (voir le cas chinois et quelques autres) ils se sont volontiers assis dessus lorsque l’une de leurs provinces portant une minorité ethnique particulière le revendiquait pour elle-même.

Chose plus étrange encore, ce droit des peuples est passé de mode, voire totalement proscrit, lorsque les peuples d’Europe voudraient avoir le droit de dire quelle forme d’avenir ils souhaitent ou ne souhaitent pas, qu’il s’agisse de constitution européenne, de gouvernement abusif des juges de la Cour européenne ou des politiques internes que leurs gouvernements leur imposent au péril de leur identité sans jamais plus les soumettre à référendum.

Ainsi, le fonctionnement actuel des instances européennes et notamment celui de la Cour de Justice, nous conduit insidieusement vers le fédéralisme et la disparition de tout élément de souveraineté spécifique des États nationaux. Parfois – comme c’est le cas en France – cela se fait  avec le consentement, voire le militantisme fédéraliste de leur propre gouvernement qui se garde bien de soumettre les choix de société et de civilisation à référendum, sachant bien qu’il agit contre la volonté d’une majorité populaire. Bien aidé en cela par toutes ces ONG idéologiques à la vertu hégémonique autoproclamée, mais soutenues en sous-main par des financeurs occultes.

D’autres fois – et c’est le cas de l’Allemagne qui veut bien être européenne tant que ça lui profite, mais c’est aussi le cas d’autres États d’Europe de l’Est qui ont trop connu la soumission au soviétisme pour accepter de nouveaux diktats – il y a heureusement des États qui refusent ces choix imposés par l’UE lorsqu’ils sont contraires à leurs traditions nationales et qu’ils y voient une menace contre leur survie culturelle.

Il est heureux qu’il existe encore des États qui aient ainsi ce réflexe souverainiste contre ce fameux « État de droit » dont la définition juridique anglo-saxonne n’a rien à voir – ou si peu – avec l’État de droit traditionnel des peuples « continentaux » de l’Europe.

Au lieu de les condamner systématiquement en les traitant de « démocratures » ou de les soupçonner de tendances fascistes, nous ferions mieux, effectivement, de voir si notre propre démocratie formelle, tant au sein de l’UE qu’outre-Atlantique, est encore régie par les principes d’une vraie démocratie.

À cet égard, l’abstentionnisme est bien le thermomètre objectif de l’état de la démocratie dans nos pays respectifs, comme ailleurs dans le monde.

[Le 19 juin 2021, 18 H35, P. P., Collioure] : À chaque scrutin européen, c’est un peu la même rengaine : « L’abstention est le premier parti de France » titrent les journaux. Lors des dernières élections européennes en 2014, le taux d’abstention était en effet de 56 %,  plus du double du score du Front national arrivé en tête avec 24,86 % des voix. Cette affirmation est donc vraie à l’échelle de la France mais il faut en fait la nuancer, car les Français ne sont pas les plus mauvais élèves en terme de participation aux élections européennes. La France se situe en milieu de classement, à la 14e position. L’abstention tend également à augmenter dans l’ensemble des pays de l’Union européenne. En 1979, lors des premières élections européennes au suffrage universel, le taux de participation était en moyenne de 61,99 %. Il est passé à 42,61% lors du dernier scrutin européen en 2014.