N° 056 La Hongrie doit-elle intégrer la zone euro ?

Mis à part les débats idéologiques, la Hongrie doit donner une réponse à une question pratique quant à son intégration européenne. La Hongrie devrait-elle dire au revoir au Forint et introduire l’euro ?

Plus loin vers l’euro

Traducteur Léo Quester

29/03/2018 –

La Hongrie a suffisamment mûri économiquement pour satisfaire à ses obligations conventionnelles – à savoir l’introduction de l’euro ; mais est-elle politiquement prête ? Si le plan d’une Union à deux vitesses de MACRON devient réalité, le futur gouvernement hongrois devra répondre prochainement à la question suivante : avec ou sans l’euro ?

Avec plus ou moins d’intensité, la question de l’introduction de l’euro fait partie de la discussion publique hongroise depuis 2002, donc depuis la création de la zone euro et avant l’adhésion de la Hongrie à l’UE. La question a ressurgi en première page pour la dernière fois en 2016, lorsque Mihály VARGA, ministre de l’économie nationale, a déclaré dans une interview accordée à la revue Magyar HIRLAP que la Hongrie serait prête à introduire l’euro d’ici 2020, à condition qu’elle maintienne son taux de croissance actuel. Un an auparavant Antal ROGAN – l’actuel ministre dirigeant le cabinet du Premier ministre – avait également évoqué une perspective similaire.

Dans le flot des analyses ayant suivi la déclaration de Mihály VARGA, s’est fait entendre la voix de l’économiste Zoltán POGATSA qui commença constamment ses interviews en disant que l’introduction de l’euro n’est pas une question politique mais économique. Ce n’est pas entièrement vrai. Pour être plus précis, il ne devrait pas s’agir d’une question politique, mais en réalité elle l’est. Un bon indicateur est la suite de cette interview, deux jours plus tard, dans laquelle Mihály VARGA a affirmé à la chaîne Hír TV que pour l’instant, la Hongrie n’a pas l’intention de rejoindre la zone euro malgré le fait que le gouvernement ORBAN a rempli tous les critères d’adhésion, sauf celui-là.

Cet événement met en lumière une contradiction au sein du parti au pouvoir, le Fidesz ; selon les experts, l’introduction de l’euro serait bénéfique pour l’économie hongroise, mais elle semble contraire à la politique du Fidesz. Bien que la Hongrie se porte bien sur le papier, la manipulation des devises en cours à la Banque nationale affaiblit la transparence, suscitant de la méfiance chez les investisseurs étrangers. En introduisant l’euro, le gouvernement perdrait précisément toute marge. La question est donc de savoir comment cela affecterait le pays.

Le bon exemple de notre voisin

Probablement en raison des conditions économiques et géopolitiques similaires, il est raisonnable de regarder l’exemple slovaque. L’introduction de l’euro en 2009 a amélioré la création d’emplois et la croissance économique dans le pays, sans parler de la compétitivité. Contrairement aux autres pays eurosceptiques de la région tels que la Hongrie, la République tchèque et la Pologne, la Slovaquie a pris une position avantageuse car, en raison de la disparition des coûts transactionnels et du risque de change, elle est devenue une cible plus attractive pour les investissements étrangers.

En outre, l’adhésion opportune de la Slovaquie pendant la crise économique a étendu le bouclier de la zone euro sur le pays, et de fait la récession a eu un impact moindre que par exemple en Hongrie. Et nous n’avons même pas encore mentionné le plan du Président français Emmanuel MACRON d’une Union à deux vitesses ; si cela se réalisait, les pays refusant d’entrer dans la zone euro se déplaceraient définitivement vers la périphérie.

Le revers de la médaille

Mais qu’est-ce que tout cela signifie pour la Hongrie ? Serait-il utile d’introduire l’euro ici ? Les experts hongrois conviennent que l’économie hongroise pourrait bénéficier de l’introduction de l’euro. La Banque Nationale traite constamment de la question. Selon ses études, la Hongrie bénéficierait de l’euro si elle pouvait introduire la monnaie sur un taux de change adéquat. Viktor ORBAN a passé la gouvernance au Premier ministre Péter MEDGYESSY en 2002, en acceptant également qu’en 2007 le pays doive rejoindre la zone euro. Mais comment les Hongrois en profiteraient-ils ?

Pour le citoyen ordinaire, l’avantage le plus évident serait l’absence d’échange d’argent. 90% des Hongrois voyageant à l’étranger ciblent l’un des États membres de l’UE et, dans ces pays, ils seraient libérés des désavantages financiers causés par l’échange d’argent. D’un point de vue macro-économique, outre une plus grande transparence et des taux de change plus stables, les indicateurs commerciaux s’amélioreraient également. L’une des questions les plus cruciales de la période post-crise, valant plusieurs milliards de dollars, l’épargne des emprunteurs en devises, serait également réglée. En outre, les experts prévoient une réduction du taux de chômage et une augmentation des salaires.

Naturellement, tout n’est pas parfait. L’exemple des États du Sud comme le Portugal, l’Espagne, Chypre et surtout la Grèce montre que l’introduction prématurée de l’euro peut facilement entraîner le pays au bord de la crise et peut également affecter négativement l’économie de l’ensemble de l’Union monétaire. Si la performance du pays n’est pas assez stable, s’il n’y a pas un potentiel de croissance suffisant et si la monnaie nationale est calculée à un taux bas par rapport à l’euro, la moindre crise du cycle de crises économiques mondiales peut provoquer la faillite du pays.

Par conséquent, il peut entrer dans une spirale d’endettement à partir de laquelle il faudrait de grands sacrifices pour s’en sortir.

La dévaluation de la monnaie nationale, principale mesure appliquée dans ces situations, ne serait pas faisable en raison de l’absence de politique monétaire indépendante. Mais pour l’instant, la situation de la Hongrie ressemble davantage à celle de la Slovaquie qu’à celle de la Grèce. Pour la première économie, l’appartenance à la zone euro pendant la crise a été bénéfique, même si elle a été fortement affectée par sa participation au mécanisme de soutien à la Grèce.

La Hongrie tirerait probablement le meilleur parti d’une solution intermédiaire souvent appelée méthode danoise. Le Danemark n’a pas installé l’euro mais y a attaché sa propre monnaie et, par conséquent, le pays bénéficie des avantages de la zone euro et en même temps évite ses inconvénients.

Pour la Hongrie, cette méthode serait particulièrement logique car, hormis l’adhésion au système ERM II, le pays a rempli tous ses critères de convergence en 2013, lorsque la procédure de déficit excessif à l’encontre de la Hongrie s’est arrêtée. De plus, la fixation du taux de change est traitée avec souplesse par l’UE ; il n’y a aucune disposition sur la durée pendant laquelle les pays peuvent rester dans le hall d’entrée de l’Union monétaire, ce qui signifie que la Hongrie pourrait avoir un avant-goût des conditions qui découlent l’adhésion à l’euro.

Euro-névrose

Traducteur Léo Quester

29/03/2018 –

La zone euro jouit sans aucun doute d’un grand prestige et avec ses 19 Etats membres et ses 341 millions de citoyens, elle peut légitimement occuper un siège parmi les plus importantes zones monétaires du monde. Cependant, depuis les crises de 2008-2009, l’euro a joué un rôle secondaire après le dollar américain.

Alors que les voix favorables à l’introduction de la monnaie commune sont de nouveau en hausse en Hongrie, en raison des bons chiffres macroéconomiques, il convient d’examiner pourquoi la monnaie, utilisée depuis 2002, souffre depuis quelques années.

Les dirigeants du vieux continent étaient sans aucun doute guidés par un mélange inspirant de bonnes intentions et d’utilitarisme sain lorsqu’ils ont créé la base d’une monnaie commune au cours de la dernière décennie du siècle dernier. Néanmoins, le temps écoulé depuis lors a montré précisément que cette recette n’était faite que pour l’Europe occidentale et ses dirigeants. Les maladies infantiles ont commencé à montrer des symptômes évidents surtout après l’élargissement de l’UE en 2004, qui concernait 10 nouveaux Etats membres.

Les dimensions pratiques et émotionnelles de la perte de souveraineté

En matière de politique monétaire et fiscale, les marges de manœuvre avec l’accession se réduisent dangereusement dans le domaine financier. La gestion efficace de l’inflation qui devient facilement lourde pour les portefeuilles des gens ordinaires, rencontre des murs incassables, parce que la banque centrale ne semble pas avoir les outils dont elle a besoin; elle est incapable d’influencer les taux d’intérêt ainsi que la masse monétaire. En outre, beaucoup de pays, en particulier ceux qui ont connu une spirale croissante de la dette depuis la crise, sont incapables de remplir les critères d’adhésion (comme le ratio du déficit annuel des administrations publiques par rapport au produit intérieur brut (PIB) qui ne doit pas dépasser 3% et le ratio de la dette publique brut qui ne doit pas dépasser 60%).

Nous ne pouvons pas non plus ignorer l’importance de la charge politico-émotionnelle. Dans son histoire d’une décennie et demie, l’euro est devenu progressivement le principal symbole des efforts de la classe dirigeante qui s’est focalisée sur la réalisation de la centralisation et de ses rêves impériaux. Cette étape vers la création de l’idéal des fédéralistes (les États-Unis d’Europe) peut susciter une crainte et une antipathie raisonnables au sein des États intéressés par une Europe dirigée par des nations fortes. Dans les pays postcommunistes, ce sentiment de rancune peut facilement être accentué par l’amère mémoire anti-impérialiste des décisions prises dans un centre éloigné.

L’inflexibilité fonctionnelle et structurelle

Jusqu’en 2008, l’euro s’était révélé parfaitement concurrentiel même par rapport au dollar américain, considéré comme la première monnaie de réserve au monde. Cependant, presque une décennie plus tard, l’euro souffre toujours des conséquences délétères des crises.

En raison de sa rigidité en opposition avec le un taux de change flottant américain, en termes de prévisibilité, l’euro avait fourni des avantages probablement inédits sur le continent. Dans un environnement changeant, tout cela s’est dissout dans l’air. Les ondes de chocs externes, venant surtout de l’autre côté de l’océan Atlantique, ont rendu vulnérables les périphéries méridionales (Grèce, Espagne).

La réponse de l’Union à la longue agonie des gouvernements à rotation rapide d’Athènes consistait à garantir l’assurance des biens des investisseurs en Grèce et à inciter les États membres à mettre en œuvre des mesures strictes de réduction des coûts. Ces actions mettent alors en danger non seulement l’Irlande mais aussi la stabilité des péninsules des Apennins et des Ibères.

Il est remarquable de constater le double visage du système par rapport aux résultats honorables d’un ou de deux petits Etats-membres, lorsque la zone est observée dans son ensemble. Une prévision négative à propos des chiffres macro-économiques de l’axe Berlin-Paris (qui est considéré comme le fondement de l’intégration européenne), et les nouvelles se répandent comme une traînée de poudre parmi les investisseurs, poussant la monnaie commune dans une spirale négative.

La Slovaquie, qui a montré une croissance imposante avant la crise et une reprise rapide après le repli transitoire, en est également un parfait exemple. Au nom de l’assistance commune, le pays a dû participer à la mise en place de l’aide fournie à la Grèce et la performance de la Slovaquie est revenue à environ + 0,6-1% entre 2015 et 2017.

L’Allemagne tentaculaire

L’incontestable primauté économique allemande en Europe a été un axiome politique sur la scène politico-stratégique du continent pendant plus de 100 ans, avec de plus ou moins petites pauses. Cependant, au début du nouveau millénaire, son cadre informellement institutionnalisé sous l’apparence de l’euro, n’est pas seulement un catalyseur, mais peut facilement faire exploser tout le processus d’intégration, et ruiner le travail lourd de plusieurs décennies.

Berlin, qui met sa forte monnaie nationale comme pari sur la table d’une roulette imaginaire, n’a pas seulement brisé une banque imaginaire. En raison de son niveau de salaire maintenu relativement bas (alors que « l’euro français” est surévalué de 6% par rapport à la performance économique réelle du pays, son “frère” allemand est sous-évalué de 18%!), de son ratio d’épargne, Berlin pourrait avoir enregistré 261 milliards d’euros d’excédent au commerce extérieur, juste en 2016.

Ce chiffre n’atteignait qu’environ 50 milliards par an au tournant du millénaire. Cette situation, permettant même une dévaluation de 40%, garantit toujours un énorme avantage concurrentiel à l’économie allemande orientée vers l’exportation au sein de la communauté, qui est de plus totalement préservée par le taux de change fixe qui supprime complètement les fluctuations visant à corriger les déséquilibres commerciaux. L’énorme mobilisation de capitaux basée sur ce mécanisme de ventilation a ouvert de nouvelles voies au cours de la dernière décennie à la chancellerie de Berlin, qui est maintenant en mesure de prendre le relais sur le continent en tant que prêteur. De cette façon, elle attire d’autres ressources de la périphérie et pousse les États dans un profond piège de la dette.

À la lumière de cela, il convient de réfléchir de manière responsable à l’avenir monétaire et fiscal de la Hongrie. Le moteur d’une coopération économique est davantage la démolition des barrières commerciales, la mise en place d’une union douanière et le maintien des quatre libertés déjà réalisées, que l’instauration d’un outil comptable commun.

[Le 11 avril 2019, 16 H15, Y. C., Mende] :  Les Hongrois ont tout intérêt à éviter le « collet » de l’euro.