N° 359 L’intellectuel Laurent BOUVET, héraut de la gauche républicaine, est mort.

Ardent défenseur de la laïcité, l’universitaire et fondateur du Printemps républicain s’est éteint ce jour, à l’âge de 53 ans.

La République et la France pleurent. Un de ses plus fervents défenseurs, homme d’esprit et de courage s’est éteint ce samedi 18 décembre. Après avoir affronté une terrible maladie, Laurent BOUVET nous a quittés. Dans la peine et l’émotion, les souvenirs remontent à la surface.

En 2017, les élections présidentielles apportèrent la preuve que les analyses de Laurent BOUVET étaient pertinentes.

1er tour inscrits    47 582 183   votants 37 003 728 [77,77%]   exprimés 36 054 394     blancs     659 997  nuls    289 337

 2d tour inscrits     47 568 693   votants 35 467 327 [74,56%]   exprimés 31 381 603     blancs  3 021 499  nuls 1 064 225

À la veille du second tour nous avons mis en ligne copie d’un article publié en 2015 dans Libération. Article qui apparut et reste aujourd’hui ô combien prémonitoire.

Pour Laurent BOUVET, professeur de sciences politiques à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, refuser de parler d’« insécurité culturelle » constitue un déni de réalité.

Le concept fait débat. Dans son dernier ouvrage, l’Insécurité culturelle (Fayard, paru en janvier), le politologue Laurent BOUVET explique que ce sentiment qui traverse la société française ne se résumerait pas seulement à un malaise opposant « petits Blancs déclassés » et nouvelles générations issues de l’immigration. Face à la mondialisation et à la crise économique, les uns comme les autres peuvent se sentir abandonnés, estime l’auteur. Mais pour certains intellectuels, parler d’« insécurité culturelle » revient à nourrir les peurs identitaires et, in fine, à faire le lit du FN. Déni de réalité, leur répond Laurent BOUVET.

Le résultat de la législative partielle du Doubs de dimanche [8 février 2015] traduit-il ce climat d’insécurité culturelle que vous décrivez dans votre livre ?

Dans cette élection partielle, le FN résiste mieux que les autres partis. Il montre aussi qu’il est désormais capable de se placer en tête d’une élection au scrutin majoritaire. Dans cette circonscription, le résultat tient au contexte économique avec la crise qui a touché le secteur de l’automobile. En même temps, nous nous trouvons là dans un département frontalier où la question européenne, celle des frontières et de la libre circulation des personnes et des biens, est au cœur des interrogations de la population. D’ailleurs, symboliquement, c’est un commissaire européen, Pierre MOSCOVICI, qui en a été l’élu précédemment ! Il incarne bien le décalage que l’on retrouve dans la notion d’insécurité culturelle, c’est-à-dire la mise en tension des repères qu’ils soient économiques, sociaux ou culturels, de populations en première ligne de la mondialisation et de ses effets, européens notamment.

Est-ce que la rupture entre les élites et les plus modestes suffit à expliquer ce sentiment ?

A travers cette notion d’insécurité culturelle, trois dimensions sont à prendre en considération. La première est évidemment liée à la question économique et sociale. Entre l’insécurité culturelle et les conditions de la crise (mondialisation, délocalisation, chômage de masse, précarité) il y a un lien fondamental. Et même ceux qui sont intégrés dans la vie économique et sociale n’échappent pas à l’insécurité culturelle, à travers la peur du déclassement. C’est là le terreau général. La deuxième dimension tient à la question de la frontière, du « eux » et du « nous ».

Qui bénéficie de la mondialisation ? Qui bénéficie de la construction européenne ?

Si un tel partage revêt un caractère économique, il passe aussi par des questions identitaires ou culturelles, liées à l’immigration et aux transformations induites sur les « modes de vie ». C’est-à-dire les transformations de la manière dont vivent les populations sous les effets de la mondialisation et de ses différentes représentations, liées à la crise économique comme à la menace islamiste. Tout ceci génère des angoisses qui ne sont pas forcément liées à ce que l’on vit dans son quartier, au fait de vivre au contact de populations immigrées ou de confession musulmane. Cela peut provenir de représentations purement médiatiques. Enfin, la dernière dimension repose sur la différence entre le « haut » et le « bas » de la société, entre ceux qui vivent bien malgré la crise et les autres qui en pâtissent. Ici, sont mises dans le même sac les élites qui gouvernent à leur profit jusqu’aux classes moyennes des pays émergents. La figure de l’immigré établit souvent un lien entre les deux dernières dimensions. Elle est vue, à travers les effets de la mondialisation, comme profitant des bouleversements de l’ordre du monde ou comme pouvant en profiter, contrairement à ceux qui vivent, hic et nunc, la crise.

Cette insécurité culturelle ne frappe-t-elle que « les petits Blancs déclassés » ?

Non, et c’est d’ailleurs là une des divergentes profondes que j’ai avec le géographe Christophe GUILLY. En banlieue, les étrangers issus de l’immigration récente ou même des Français d’origine étrangère mais encore mal intégrés vivent des formes aiguës d’insécurité culturelle. Entre le jeune de banlieue d’origine étrangère et de confession musulmane, et le petit Blanc vivant dans le « périurbain subi », on pourrait penser qu’il y a une opposition culturelle et identitaire forte. Pourtant, et c’est le sens de mon livre, ces deux populations, comme d’autres, ont des intérêts objectifs communs, je n’ose dire de classe, car ils adressent les mêmes reproches aux élites qu’ils voient comme éloignées territorialement et socialement, et surtout qu’ils voient comme les ayant abandonnés. Or, pour toute une partie de la gauche comme de la droite et de l’extrême droite, l’opposition identitaire, la valorisation de telle ou telle identité, prime visiblement sur une analyse en termes d’intérêts communs de classe contre les élites.

Celles-ci, qu’elles soient politiques, économiques ou intellectuelles, ont d’ailleurs intérêt à entretenir cette « guerre culturelle ». Cela leur permet de maintenir pouvoirs et privilèges, au détriment de ceux dont elles attisent l’antagonisme.

Parler ainsi des élites, est-ce que ce n’est pas nourrir une forme de populisme ?

Sans doute… il en va de même d’ailleurs pour l’insécurité culturelle. Est-ce que c’est le fait d’en parler qui nourrit le populisme ou, au contraire, le fait de ne pas en parler, de vouloir masquer les choses ? Nous sommes dans le déni que ce soit par rapport au populisme ou à l’insécurité culturelle. La bonne question est : au profit de qui ?

En parlant d’insécurité culturelle, ne craignez-vous pas de participer à une forme de « lepénisation des esprits » ?

Cette critique qui m’est adressée est absurde et mal intentionnée. Qu’est-ce qui a, en effet, contribué le plus depuis trente ans à la lepénisation des esprits et aux progrès du FN ? D’avoir eu, notamment à gauche, un débat ouvert et transparent sur l’insécurité culturelle ou bien d’avoir soigneusement mis sous le tapis les questions de ce type qui se posent à la société française, en faisant de surcroît la morale à nos concitoyens qui votaient FN ? Continuons donc tranquillement sur la voie qui a mené Marine LE PEN et le FN à 30% dans l’opinion et aux victoires électorales que l’on connaît. Moi, je propose d’être plus efficace dans ce combat. Ceux qui me reprochent de participer à la lepénisation des esprits devraient plutôt s’interroger sur leurs pratiques et sur leur efficacité !

Comment dissiper ce sentiment d’insécurité culturelle ?

Comme souvent en politique, il est plus difficile de réparer ce qui a été cassé plutôt que d’éviter que cela ne casse. Mais pour y parvenir, je pense que le discours de gauche devrait renouer avec ce que j’appelle un républicanisme du commun. Cela signifie qu’il faut avant tout mettre l’accent dans tous les discours sur la République, sur ce qui nous est commun plutôt que sur ce qui nous divise. La gauche doit aussi montrer que le pouvoir est du côté de tous ceux qui sont en bas dans la société, où qu’ils vivent, en banlieue ou dans le périurbain, qu’il n’y a plus de préférence en raison de telle ou telle identité ou différence culturelle.

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Le jour même de la mort de Laurent BOUVET, l’hebdomadaire Marianne a mis en ligne, en libre accès, un article saluant le travail du défunt. La rédaction du journal doit être remerciée pour cette très délicate attention : Mort de Laurent BOUVET : le Printemps Républicain perd son fondateur [Publié le 18/12/2021]

Le politologue, cofondateur du Printemps Républicain, s’est éteint à 53 ans ce samedi 18 décembre. Il avait largement contribué à populariser le concept d’ «insécurité culturelle» et dénonçait régulièrement les évolutions sociétales prises par la gauche.

Marianne [2021.12.18] Mort de Laurent Bouvet – le Printemps Républicain perd son fondateur

[Le 4 février 2020, 15 H35, J. M., Collioure] : Let them go !