N° 305 Le mouvement populaire « #rezist » en Roumanie – espoirs et déclin

À partir du 18 janvier 2017, en Roumanie, s’est fait connaître un nouveau mouvement de protestation nommé « #rezist ».       Par Paul TUDORAN***,        haut-fonctionnaire roumain, ami d’ICEO.

À partir du 18 janvier 2017, en Roumanie, soit à peine deux semaines après le vote d’investiture du nouveau gouvernement formé par la coalition PSD-ADLE (Parti social-démocrate et l’Alliance des démocrates et libéraux), dirigée par les représentants du PSD, s’est déclenché, à Bucarest et dans d’autres grandes villes du pays, une série de manifestations de rue.

En principe, « #rezist » était un mouvement dirigé contre la corruption qui se manifestait notamment dans la classe politique, mais aussi dans l’administration.

L’élément catalyseur a été l’intention annoncée par le gouvernement de modifier certaines dispositions du Code pénal, dans le but – non reconnu – de sauver le président du PSD d’une peine de prison ferme que la justice était en voie de lui infliger pour une infraction constitutive d’abus de pouvoir.

Le premier jour des protestations quelques 4 000 personnes ont manifesté leur colère contre le gouvernement à Bucarest, ainsi que quelques autres milliers dans les autres grandes villes du pays. Mais, dans les jours suivants, les manifestations se sont intensifiées, notamment après le 31 janvier, où le ministre de la justice avait annoncé dans une conférence de presse que le gouvernement avait déjà adopté une ordonnance d’urgence pour modifier le Code pénal, en dépit d’un avis négatif du Conseil Supérieur de la Magistrature.

Le même jour, vers minuit, l’ordonnance décriminalisant l’abus de pouvoir était publiée au journal officiel, sauf qu’elle prévoyait qu’elle n’entrerait en vigueur que dix jours après sa publication. Ce délai a permis au mouvement de s’amplifier dans les jours suivants, et c’est ainsi que le 5 février, environ 600.000 manifestants ont protesté à travers du pays, déterminant le gouvernement à annoncer le même jour l’abrogation de ladite ordonnance d’urgence, avant qu’elle puisse produire ses effets.

Le ministre de la justice, principal artisan de l’ordonnance qui avait essayé de décriminaliser l’abus de pouvoir, avait alors démissionné le 8 février 2017, mais le gouvernement restera encore en fonction jusqu’au 29 juin 2017, date à laquelle il a été renversé par une motion de censure initiée par son propre parti politique, initiative due à l’impossibilité d’épargner de sa responsabilité pénale le président du parti PSD.

Quelques mois après, l’ancien ministre de la justice a été élu chef de la Commission parlementaire spécialement créée pour la systématisation législative dans le domaine de la justice, et les gouvernements menés par le PSD qui se sont succédé ont poursuivi les initiatives visant à amender les lois sur la justice, de telle sorte que, le 2 juillet 2018 l’abus de pouvoir a été presque totalement dépénalisé.

Toutes ces actions ont attiré les critiques du mouvement « #rezist », d’une bonne partie de la population, de l’opposition et du président de la république.

Elles ont engendré une nouvelle vague de manifestations qui se sont poursuivis plusieurs jours, notamment pendant les soirées, lorsque les gens avaient terminé leurs activités quotidiennes.

Parallèlement, d’importantes personnalités politiques et diplomatiques se sont prononcées, dès le début de février 2017, contre les projets de réforme législative soutenus par le gouvernement. Entre autres, l’ambassadeur des États-Unis en Roumanie, a déclaré que « nous ne considérons pas appropriée toute mesure qui affaiblit l’état de droit de la Roumanie » et que « toute proposition législative qui contredit la consolidation de l’état de droit affecte tous les Roumains, quelles que soient leurs préférences politiques ». Par ailleurs, l’ancien commissaire européen à l’élargissement de l’UE s’est dit abasourdi que le PSD, qui avait remporté les élections de 2016, se comporte comme si tout le pays lui appartenait et comme s’il essayait de couvrir plus d’un millier de politiciens qui avaient rempli leurs poches sur le dos des citoyens.

Le président de la Commission européenne de l’époque, et le premier vice-président ont publié une déclaration commune déclarant que «la lutte contre la corruption doit aller de l’avant et non être sapée ». Néanmoins, ils ont déclaré qu’ils suivaient  avec une grande inquiétude les développements de cette affaire en Roumanie. Toutes ces prises de position ont déterminé le premier ministre à envoyer une lettre aux dirigeants européens pour réitérer «le ferme engagement de toutes les institutions et décideurs de Roumanie à poursuivre la lutte contre la corruption».

Entre 20172020 alors que se sont succédé au pouvoir trois gouvernement PSD-ALDE, le mouvement « #rezist » est resté tous le temps aux créneaux, organisant des manifestations dans la rue chaque fois que les dirigeants adoptaient des mesures considérées comme contraires à l’état de droit, ou potentiellement dangereuses pour la démocratie.

Après les élections de 2020 le mouvement « #rezist » se retrouve au pouvoir dans une coalition avec d’autres partis de droite, dirigée par les libéraux. 

Le PSD se retrouve dans l’opposition, même s’il a remporté presque 35 % des votes du peuple.

Cependant, jusqu’à présent, les réalisations de l’actuel gouvernement, installé le 23 décembre 2020, sont loin des attentes des citoyens, notamment dans le domaine de l’économie. De plus, en dépit du fait que la pandémie de COVID fait rage, le ministre de la santé, membre du mouvement « #rezist », est presque absent de la vie publique, tandis qu’il est plutôt intéressé par le cinéma et les tournages de films valorisant sa présence [1].

Depuis lors, le 14 avril, le ministre de la santé en cause a été démis de ses fonctions par le président de la république sur la proposition du premier ministre, mais ce geste a attiré la colère du parti PLUS (Partidul Libertate, Unitate și Solidaritate / Parti Liberté, Unité et Solidarité), parti membre de la faible coalition au pouvoir et appuyé sur le mouvement« #rezist » qui a demandé le remplacement du premier ministre (membre du PNL/Parti National Libéral). Actuellement  des négociations sont en cours pour désigner un nouveau ministre  de la santé.

De plus, le gouvernement en fonction fait les mêmes dérapages que les précédents ; il a nommé des proches et des gens sans carrière et sans connaissances professionnelle à des fonctions très spécialisées, souvent pour le seul « argument » qu’ils sont « #rezist » ! Par exemple, il a décidé de nommer en tant que secrétaire d’état au ministère de l’intérieur une ancienne policière, véhémentement critiquée parce qu’elle est partie à la retraite, grâce à un artifice législatif, à 42 ans !

Ce qui donne sens au dicton qui dit que le pouvoir corrompt !.

[1]La chaîne HBO a lancé un film concernant une tragédie survenue en 2015, alors que 60 personnes étaient décédées lors d’un concert de rock à la discothèque Colectiv, en plein centre de Bucarest, pendant lequel s’était déclenché un violent incendie. Le ministre a participé au tournage du film en y interprétant le rôle d’un citoyen intéressé à connaître l’état des hôpitaux roumains.

Paul TUDORAN*** : nom d’emprunt.

[Le 30 avril 2021, 12 H00, P. C., Notre-Dame de la Rouvière] : Article intéressant, merci à Paul TUDORAN.