J° 013 Novak DJOKOVIĆ, un champion qui témoigne de qualités particulières, qui font honneur à un pays, trop souvent dénigré.

Hommage à un bel  homme de bien et un grand homme de cœur.

Une fois n’est pas coutume, ICEO va se mêler de sport, après avoir fait preuve d’éclectisme sur beaucoup de sujets. Ce faisant, nous ne sortons tout de même pas de notre objet statutaire : mettre en valeur l’Europe centrale et de l’Est, les pays qui la composent, leurs figures emblématiques.

Et nous le faisons cette fois pour honorer, nous aussi, un grand champion qui lui-même fait grand honneur à son pays, la Serbie, un pays trop souvent dénigré en France mais que plusieurs d’entre nous, à ICEO, connaissons bien et que nous aimons pour diverses raisons, propres à chacun d’entre nous. Comme tout le monde n’aime pas le tennis en général, Novak DJOKOVIĆ en particulier et pas nécessairement la Serbie, personnage et pays pas toujours « dans les clous » des normes du temps présent, ce dont on peut débattre, cet article aura une tonalité particulière qui sera celle de celui qui l’a signé et qui en assume le propos.

L’auteur de ces lignes n’est pas un fana de tennis autant que l’est son fils qui a commencé à manier la raquette à l’âge d’à peine deux ans (la preuve en image) et qui la manie encore à 45 ans.

Mais c’est tout de même un sport qu’il a lui-même un peu pratiqué, en amateur occasionnel et il ne dédaigne pas de regarder le tournoi de Roland-Garros, surtout lorsque de

grands champions s’y affrontent dans des duels de plusieurs heures.

Des duels qui demandent résilience et ténacité sur des courts qui semblent être le fond de grands cratères dont les parois sont garnies d’un public nombreux, parfois élégant et un peu snob, parfois vociférant, partial et volcanique mais dont les courtes ébullitions se calment tout de même aux rappels à l’ordre de l’arbitre.          oo0oo

Parmi les champions qui s’affrontent et dont chacun a ses qualités et caractères propres, s’il en a un pour lequel l’auteur de ces lignes a une préférence marquée et sans doute très partiale, sans pour autant mésestimer les autres, c’est bien Novak DJOKOVIĆ (Новак Ђоковић en cyrillique serbe, Novak DJOKOVIĆ en alphabet latin serbe).

Il n’est pourtant pas le plus théâtral en piste, ni le plus extravagant, ni celui qui présente la figure la plus plaisante et propre à attirer d’emblée la sympathie : visage austère voire sévère, regard noir et aiguisé, manifestant rarement ses émotions pendant le match, même dans les moments où il semble en difficulté, concentré et sobre dans ses attitudes, il n’attire pas spontanément la sympathie que l’on peut éprouver d’emblée pour d’autres, plus lumineux et flamboyants. Sa quasi-impassibilité témoigne d’une force tranquille et concentrée sous le masque, toute tendue vers l’objectif final et qui sait puiser dans ses réserves pour surmonter les moments difficiles avec beaucoup de résilience.

Et pourtant dès que le match est terminé, qu’il l’ait perdu ou plus généralement gagné, il apparait comme un tout autre homme.  On l’a vu lors de cette finale 2023 de Roland-Garros qu’il a maîtrisée totalement face à un adversaire pourtant coriace et qui le consacre comme l’un des plus grands champions, sinon le plus grand de ce sport. Un sport qu’il a choisi de pratiquer depuis l’enfance, pour lequel il s’est entrainé avec ténacité et qu’il continue à pratiquer au plus haut niveau à l’âge où d’autres ont déjà raccroché la raquette.

On l’a vu couché au sol sitôt le point gagnant marqué, les bras en croix et le regard au ciel ; on l’a vu assis sur son siège, sanglotant nerveusement, la tête cachée sous sa serviette dans le relâchement de la pression accumulée, réalisant l’exploit enfin atteint de ce 23e Grand Chelem qui le propulse au sommet de son art au-dessus de tous les compétiteurs du présent et du passé. On l’a vu ensuite se précipiter dans la coulisse du stade pour surgir dans les gradins pour partager sa joie et son émotion avec sa famille, ses entraineurs et ses amis les plus proches. On a découvert à cette occasion qu’il avait une épouse discrète et trois blonds jeunes enfants rayonnants du succès de leur père. On l’a vu enfin, souriant et détendu lors de la remise du trophée, avec des mots aimables et amicaux pour tous : son adversaire malheureux, les organisateurs et leurs invités et enfin le public dont il sait pourtant qu’il n’a pas toujours été le favori de la majorité des spectateurs, tant dans ce tournoi que lors des précédents.

On a vu et entendu aussi que – et cela c’est précieux pour nous à ICEO – contrairement à beaucoup d’autres champions du circuit international, il était l’un des rares joueurs à faire l’effort de s’exprimer en français là où beaucoup d’autres ne s’expriment qu’en anglais partout où ils vont ; que même, d’une année sur l’autre, il avait fait de grands progrès dans notre langue, capable de tenir un assez long discours même si ensuite, pour le public international, il a terminé en anglais. Mais on a pu noter également à cette occasion que, hors du bla-bla-bla d’usage, il avait tenu un très beau discours de conclusion, d’une haute tenue morale en s’adressant à la jeunesse pour lui indiquer le chemin des vertus qui ont fait sa propre réussite.

Et c’est là que nous en venons aux qualités dont il témoigne et qui semblent tout particulièrement propres au « caractère serbe ».

L’auteur de ces lignes tient à dire qu’il connait tout de même assez bien la Serbie pour y avoir travaillé pendant un temps assez long à Belgrade et qu’il a voyagé dans l’intérieur du pays, le traversant aussi plusieurs fois du sud au nord et de l’est à l’ouest. Pour connaitre un pays il faut chercher à en comprendre l’âme et pour cela, il faut côtoyer et fréquenter les gens, vivre au milieu d’eux, connaitre leur histoire mais aussi leur vécu au quotidien et les épreuves qu’ils ont traversées.  Parmi celles-ci, le démembrement de la Yougoslavie dont ils étaient le cœur et les guerres sanglantes qu’il a engendrées dont on les a rendus seuls responsables comme si les autres peuples de la fédération détruite n’avaient pas leur part de responsabilité dans la guerre inter-ethnique et les atrocités commises.

Personne en Serbie n’oublie la guerre menée contre eux par l’OTAN en avril 1999 pour les obliger à lâcher le Kosovo où les Kosovars albanais étaient devenus majoritaires alors que cette province avait et a toujours une valeur mythique de terre des origines pour le peuple serbe : les bombardements de bâtiments officiels en plein cœur de Belgrade, faisant de nombreux morts et blessés civils, ont laissé des traces.

L’auteur de ces lignes, travaillant sur un programme européen auprès du ministère en charge de la Fonction publique et de la Réforme de l’État, passait tous les jours, soir et matin, devant la carcasse du ministère de la Défense, bombardé deux fois le 23 avril 1999 dans la même matinée, faisant d’autant plus de victimes civiles, bâtiment sinistré conservé tel quel face au ministère des Affaires étrangères, afin que nul n’en oublie et surtout pas les diplomates européens en visite ; mais il y eut aussi les ponts détruits sur le Danube, comme à Novi Sad, les usines bombardées en diverses villes industrielles du pays, détruisant du même coup de nombreux emplois et provoquant l’appauvrissement du pays.

Belgrade, carcasse du ministère de la Défense, bombardé deux fois le 23 avril 1999 dans la même matinée,

Pendant ce temps les Serbes du Kosovo qui n’ont pas voulu quitter leurs villages ou leurs fermes vivent dans la misère, reclus dans leurs enclaves assiégées où ils sont menacés quotidiennement de vols et de pillages, voire de massacre, par les fanatiques musulmans kosovars qui les entourent tandis que la communauté internationale fait bien peu pour les protéger. Mais une énorme base de l’OTAN, le  camp Bondsteel, s’est épanouie au cœur de la zone américaine size au sud-est du Kosovo près de la ville de Ferisaj. C’était là l’essentiel, le reste importe donc peu, pays mafieux et nid de djihadistes au cœur des Balkans ou pas, et les quelques Serbes qui s’accrochent encore à leurs terres ancestrales n’ont qu’à partir se réfugier en Serbie comme l’ont fait la majorité d’entre eux au lieu de vouloir se cramponner à leurs racines comme arapèdes à leur rocher.

Belgrade

La France a malheureusement participé à ces destructions comme membre de l’OTAN, oubliant que la Serbie fut notre alliée très active et méritante lors de la première guerre mondiale ; oubliant ou ignorant qu’au cœur de Belgrade, dans le grand parc du Kalemegdan qui surplombe le confluent de la Save et du Danube, pas loin de notre belle ambassade, superbe réalisation Art Déco, se trouve un majestueux monument mêlant le bronze et le marbre blanc, célébrant l’amitié indéfectible entre la Serbie et la France. Les Français ont oublié ce passé ou l’ignorent, les Serbes, eux, ne l’ont pas oublié et déplorent notre abandon de ces liens solennellement proclamés en notre honneur.

C’est dans ce contexte de guerre contre son pays et d’insécurité quotidienne qu’a grandi le jeune Novak DJOKOVIĆ. Il est né le 22 mai 1987 à Belgrade. Il a donc passé son enfance au milieu des troubles et des guerres qui ont détruit la Yougoslavie. En 1999 il avait douze ans lors des bombardements de l’OTAN. Déjà passionné de tennis, il s’entrainait entre deux alertes et faute de temps, privilégiait les séquences plus courtes de tie break qui plus tard feront sa force.

En ses débuts de carrière sur le circuit international, il fut longtemps handicapé par des malaises divers (migraines, crises d’asthme, fatigue soudaine) qui gênaient ses résultats sportifs. Il finit enfin par découvrir qu’il était allergique au gluten. Il suit alors un sévère régime alimentaire sans gluten qui, dès lors, lui permet une ascension tennistique fulgurante, combinée à un entrainement rigoureux. En 2014, Il a d’ailleurs produit et publié un livre titré « Service gagnant » et sous-titré : « Une alimentation sans gluten pour une parfaite forme physique et mentale » où il divulgue sa méthode. Professionnel depuis 2003, c‘est le 4 juillet 2011 qu’il atteint pour la première fois la place de n°1 du tennis mondial. Et depuis, il a prouvé que sa discipline alimentaire, son mode de vie rigoureux voire ascétique lui ont permis de dépasser les plus grands et de vaincre les plus jeunes et les plus doués de ses compétiteurs, comme il vient de le faire à Roland-Garros pour retrouver ainsi en 2023 la place de n°1.

On trouvera sous ce lien de présentation de son livre, une brève biographie qui raconte sa jeunesse vécue sous les alertes aux bombardements obligeant la famille à se mettre à l’abri dans une cave et ses entrainements obstinés entre deux alertes.

Voici aussi un extrait de l’article que lui a consacré Le Figaro, le 31 janvier 2023, après qu’il eut gagné son 22e titre de Grand Chelem en Australie, un tournoi dont il avait été écarté l’année précédente pour avoir refusé de se faire vacciner contre le Covid-19.

« Lors d’une interview sur Sony Sports Network avec Somdev DEVVARMAN, et des propos rapportés par AS, le Serbe a évoqué son enfance difficile : « Je suis venu de Serbie dans les années 1990, j’y ai vécu deux guerres et un embargo pendant six ans. De plus, aucun athlète serbe n’a été autorisé à quitter le pays pour concourir à l’étranger pendant quatre ans. »

Un drame qui a eu des répercussions sur sa carrière, son envie de s’investir à travers sa fondation, lui qui a dû faire la queue pour obtenir de l’aide humanitaire : « Quand j’étais enfant en Serbie, chaque matin à cinq heures, nous devions faire la queue pour obtenir du pain et du lait pour mon grand-père et des centaines d’autres personnes, afin de mettre du pain sur la table pour qu’une famille de 5-6 personnes puisse manger tous les jours. Je sais ce que ça fait. Je suis reconnaissant pour tout ce que j’ai et tout ce dont j’ai été béni, et tout ce que Dieu m’a donné, je l’apprécie et le respecte beaucoup. C’est pourquoi je suis conscient qu’il y a des gens dans le monde qui ont moins de chance que moi et, par le biais de ma Fondation, j’essaie d’aider les gens autant que je le peux. Je sais que ce n’est pas suffisant et que je peux donner plus, mais je fais toujours de mon mieux. »

Sur les courts, celui qui est, ventre à terre, lancé dans la quête de tous les records va continuer à se démultiplier. Boris BECKER a, sur Eurosport Allemagne, confié : « Le succès est le rêve de sa vie, il veut devenir le joueur le plus titré de l’histoire. Même lorsqu’il était enfant, il disait :  »Je vais être le meilleur et il avait raison ». »

On comprend mieux ainsi ce qui a forgé son caractère et fait mûrir sa force mentale, les valeurs morales et spirituelles qui le portent et qu’il exprime, souvent à contre-courant de la bien-pensance sociétale et politique contemporaine : la fierté nationale, la fidélité à ses origines et à ses croyances, assumée quoi qu’il en coûte, la solidarité avec son peuple, le patriotisme serbe affiché, mais aussi, au plan personnel, la ténacité, le sang-froid, la patience et la méthode, la résistance à l’épreuve dans la longue durée, la résilience face à l’adversité et finalement une gentillesse souriante envers tous qui se manifeste dès que la compétition est terminée.

Même s’il a, comme tout un chacun, aussi des défauts, nul n’est parfait : sa famille, son épouse Jelena, ses parents ont eu à souffrir de son caractère parfois difficile et éruptif lors des moments de grande tension en préparation des tournois à venir, alors qu’il est tendu vers son objectif de vaincre. Il s’en est d’ailleurs excusé avec humour auprès de sa famille après son succès de ce 11 juin 2023 à Roland-Garros.

Mais il faut mettre aussi à son actif sa fondation, créée en 2007 avec sa femme Jelena (qu’il avait connue dans leurs années de lycée) et qui la dirige, une fondation qui a pour vocation de créer des jardins d’enfants dans toutes les régions de Serbie afin d’offrir à ces enfants, notamment à ceux qui vivent dans des conditions sociales difficiles, une égalité des chances afin de bien démarrer leur vie, en leur offrant une éducation préscolaire moderne et de qualité.

Voila l’hommage que l’auteur de ces lignes voulait rendre à ce grand sportif et à travers lui à son pays. Pas plus que Novak DJOKOVIĆ, la Serbie n’est certes pas parfaite. Le sportif comme son pays ont aussi leur face moins lisse et leurs défauts. La Serbie est slave et le montre par ses attachements culturels. Elle a aussi ses oligarques et ses malfrats autant qu’il y en a en chez nous en Occident, autant qu’il y en a en Russie et en Ukraine aussi. A côté de cela, l’objectivité impose de ne pas effacer sous les préférences partiales les vertus qui font aussi leur force et forgent leur identité.

Le passé des peuples, comme celui des individus forge leur caractère, nourrit leur présent et commande leur avenir. Mieux les connaitre aide à mieux les comprendre. N’est-ce pas là la devise d’ICEO ?

JMR le 14 juin 2023

[Le 16 juin 2023,7 H45, J. B., Paris] : Bravo ! Bravo ! et … bravo !. Je fais suivre.

[Le 15 juin 2023, 7 H30, P. C., Valleraugue] : Qui sont les serbes? Comment sont-ils perçus par les touristes français? Comment vit-on en Serbie et que faut-il savoir sur la Serbie et les Serbes pour apprécier au mieux son voyage en Serbie? Depuis août 2009 un début de réponse :  Les serbes : clichés et mentalités en Serbie. « Caractère serbe » ?

[Le 14 juin 2023,23 H55, V. V., Sofia] : Merci pour ce bel hommage à un champion d’exception.