N° 048 Heb Galleg Bro Frañs ebed ! (Sans le français, plus de France)

Lettre de Paul CLÉVELOT à Diwan, écrite en 2008.

Plus que jamais d’actualité.

Apportant un soutien financier mensuel aux écoles « Diwan » depuis près de 30 ans, j’ai bien évidemment une conscience aigue de l’importance de la sauvegarde des langues dites minoritaires. J’ai pu mesurer le rôle majeur de leur persistance dans la conscience des peuples et la blessure de ceux qui voyaient disparaître leur langue maternelle.

En France en 2008, tous ceux qui connaissent une des langues minoritaires du pays sont bilingues (1).

Ce qui signifie que tous les bretonnants, tous les catalanophones, tous les occitanophones, ou déclarés tels, sont bilingues et que la langue française n’est en aucun cas pour eux une langue étrangère. Cette langue occupe aujourd’hui, qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore, toujours plus de cinquante pour cent de leur espace linguistique. Il serait donc logique que les locuteurs bilingues, défenseurs de la diversité culturelle, tiennent des discours parallèles pour la défense de leurs deux langues.

Or, que peut-on lire ? Que peut-on entendre ? Que peut-on constater ?

On constate malheureusement que les fervents défenseurs des langues minoritaires parfaitement bilingues sont peu enclins à défendre leur seconde langue(2). Le français, présenté comme la langue du « colonisateur », est parfois juste tolérée parce qu’on ne peut pas faire aujourd’hui autrement.

Le monde idyllique dont ils rêvent et qu’ils semblent appeler de leurs vœux : une grande Europe des régions avec chacune sa langue régionale et au-dessus de tout cela une langue d’Europe : l’anglais.

On assiste ainsi à une situation paradoxale, pour dénoncer l’intolérable dictature du français dont ils prétendent avoir été victimes, ils accueillent de fait le tout anglais.

Ce qui est cocasse, c’est que ce faisant, ils reproduisent (sans s’en rendre compte) une démarche similaire à celle de nos aïeux qui ont favorisé la promotion de la langue française lorsqu’ils ont inscrit leur avenir dans la République française.

Il est moins que sûr que la survie des langues dites minoritaires sera mieux assurée sous la férule de l’Europe que dans le cadre de la République française. Les mêmes discours induisant les mêmes politiques, il est plus que probable que ces dites langues minoritaires seront remisées au conservatoire européen des langues qu’on ne manquera pas de créer, sans plus personne pour les défendre vraiment.

La situation pour les « autonomistes » voire « indépendantistes » est très simple, le français étant la langue du « colonisateur », la Bretagne ou l’ « Occitanie » ou la Corse étant des « colonies » (discours remontant à la fin de la Guerre d’Algérie renforcé après 68), la défense du français n’incombe nullement aux bretonnants ou aux occitanophones, puisque ce n’est pas leur affaire.

C’est oublier que, depuis longtemps, le français n’est plus seulement la langue du roi de France. La langue française s’est implantée dès le Moyen Âge pour des raisons similaires à celles qui font le succès de l’anglais aujourd’hui. Tours et la Sorbonne ont joué le même rôle que Harvard et Standford actuellement. Les moines qui ont étudié à Tours et à Paris ont rapporté la langue de leurs maîtres. Le comte de Toulouse a utilisé pour ses écrits administratifs la langue française bien avant que le comté ne fût rattaché au royaume de France.

Les langues régionales françaises n’ont été massivement délaissées(3) qu’après la première Guerre Mondiale, mais toutes les élites de France et souvent d’Europe utilisaient déjà à ce moment le français depuis plusieurs siècles.

Pour les falaises de glace, l’effondrement massif provient après une longue exposition au soleil, pour les langues le basculement brutal que l’on peut parfois constater arrive après une longue et parfois insidieuse imprégnation linguistique, culturelle et économique.

Les défenseurs des langues régionales les plus lucides et les plus cultivés savent tout cela. Ils ont parfaitement analysé les mécanismes et les raisons historiques qui ont favorisé le déclin de ces langues.

Ils savent par le cœur et par l’esprit leur richesse. Ils savent que « la pensée n’est pas étrangère à la langue qui la porte. La langue n’est pas un simple véhicule de la pensée. Elle en est souvent le tuteur voire le terreau »(4).

Ils savent que les langues ne sont pas interchangeables et ils savent mieux que personne que les langues sont mortelles.

Sachant tout cela, les défenseurs des langues régionales devraient mettre à profit leur expérience pour expliquer les dangers qui guettent toutes les langues en voie de minorisation et ce par dessus tout pour toutes les langues qu’ils ont la chance de connaître.

Quand on s’occupent de deux malades, on porte bien sûr une attention plus soutenue au plus faible, mais l’on n’attend pas que le moins atteint entre en phase critique pour s’en occuper. Quand on est vraiment bilingue de naissance, on n’a pas a priori de raison de privilégier la défense de l’une des langues par rapport à l’autre.

Or, on peut malheureusement constater que les plus extrémistes des « autonomistes » vouent une telle haine à la France qu’ils ne voient pas d’inconvénient à ce que la langue française soient ensevelie dans le même linceul que celui qu’ils tissent pour le pays des C’hallaoued (Gaulois)(5).

Certes aujourd’hui le français est loin d’être menacé de mort, mais il est victime des mêmes mécanismes que ceux qui ont dévalorisé les langues régionales. Tout se met en place pour qu’en une génération le français soit définitivement ringardisé(6).

Certaines « élites » françaises et ce qu’on appelle les « people » ont déjà choisi la langue de tous les pouvoirs, et même lorsqu’elles ne connaissent qu’un mauvais « globish », elle tiennent à l’utiliser en croyant naïvement qu’une platitude exprimée en anglais devient miraculeusement un trait de génie.

On peut constater que le multilinguisme généralisé prôné par certains est illusoire voire hypocrite car il a pour effet d’accélérer de fait le monolinguisme qu’il prétend combattre.

Seul un trilinguisme institutionnalisé, tel que celui proposé par la conférence des recteurs des universités polonaises à Cracovie en juillet 2004 est de nature à préserver la diversité linguistique de l’espace européen. Voir  la Proposition d’ICEO sur le trilinguisme adressée au Parlement européen en 2014.

Lorsque les peuples n’auront plus pour ambition que de parler « leur » langue dans « leur » espace privé et l’anglais dans l’espace public, l’humanité aura perdu l’essentiel de sa diversité et de sa richesse linguistique. Ce bilinguisme généralisé qui se met rapidement en place, loin de favorisé l’harmonie entre les nations, favorise indubitablement les tensions dans de nombreux états multiethniques.

A juste titre les Bretons considèrent que « Heb Brezhoneg, Breizh ebed » (« sans le breton, plus de Bretagne »). Ils peuvent donc parfaitement imaginer que « Heb Galleg, Bro Frañs ebed » (« sans le français, plus de France ») . Comme nous l’avons souligné, en ce troisième millénaire tous les bretonnants reçoivent en héritage et en partage la langue française. Lorsque l’on interrogeait le Président Fehrat ABBAS sur le devenir du français en Algérie, il répondait : « le français c’est notre trésor de guerre ». Pour les Bretons aussi le français est le fruit de la guerre ; le fruit d’une guerre où ils furent si nombreux à verser leur sang pour la Bretagne et pour la France. La langue française est un « trésor partagé » et les Bretons ont bien sûr droit à leur part.

Il est regrettable que ceux qui mettent tant de zèle à sauvegarder la langue de leurs grands-parents se sentent si peu concernés par la sauvegarde de la langue transmise par leurs parents.

Ainsi que je l’ai signalé en introduction, je soutiens le combat de ceux qui s’évertuent à sauvegarder la langue bretonne depuis de très nombreuses années. Je reste bien évidemment convaincu de l’importance de cette action culturelle, mais j’ai aujourd’hui la certitude que ce combat est vain s’il se désolidarise de la défense de la langue française.

« Diwan » n’a manifestement pas actuellement les mêmes vues que moi. J’en déduis donc que son combat n’est plus tout à fait le mien. J’en tire à regret les conséquences en mettant un terme à mon soutien financier.

Kenavo ha martese eur wec’h all (Jusqu’au revoir et peut être à une autre fois).

Paul CLEVELOT

Nantes, le 21 août 2008

 

(1) Il n’existe plus aujourd’hui parmi ces citoyens français de monolingues. On considère, par exemple, que le dernier bretonnant monolingue est mort dans les années 1950.

(2) . Seconde langue qui est de plus en plus aujourd’hui leur première langue et leur seule langue maternelle. En 2008, les jeunes bretonnants sont essentiellement des néo- bretonnants qui souvent s’efforcent d’exprimer en breton ce qu’ils ont pensé en français. Toutes les différentes langues participent la richesse de l’humanité et sont dignes d’un égal respect, mais parce que différentes elles ne sont pas équivalentes et ne permettent pas toujours et tout le temps d’exprimer toute la complexité de la pensée universelle. Malgré tous les discours qui tendent à prétendre le contraire lorsque les bretonnants se heurtent au mur des réalités ils sont obligés aujourd’hui d’utiliser le français voire l’anglais pour préciser leur pensée. Bien que l’arabe et l’hébreu soient des langues écrites depuis de très nombreux siècles et qu’elles bénéficient de ce fait d’un immense héritage culturel, dans la plupart des pays arabes et en Israël l’enseignement supérieur scientifique est délivré en anglais ou en français. Les pays du Maghreb, après une douloureuse tentative d’arabisation, ont fait machine arrière. C’est pourquoi lorsque les responsables de « Diwan » ont la prétention de préparer leurs élèves à un cursus universitaire en breton « penn da benn » ont ne peut que sourire de leur pieux mensonge ou pleurer sur leur incompétence scientifique.

(3) Même si c’est très douloureux de l’admettre, les langues régionales ont été dévalorisées par la majorité de leurs locuteurs. Ceux-ci en ont malheureusement délibérément délaissé l’usage avec leurs enfants. Ce qui explique que tant de gens prétendent comprendre une langue régionale mais sont incapables de la parler.

(4) Il est raisonnable de penser que l’excellence des mathématiciens français est due, en sus de raisons historiques, à un environnement linguistique de grande qualité que seule une langue de longue tradition scientifique pouvait offrir.

(5) Un peu comme certains flamingants qui rejettent le français, les Wallons et la Belgique.

(6) En moins de quarante ans le français a presque totalement disparu des publications scientifiques. De plus en plus d’Établissements d’enseignement supérieur français délivrent l’essentiel de leurs cours en anglais. Les titres des séries et des films américains sont de moins en moins traduits. De plus en plus d’entreprises imposent le tout anglais dans leurs documents et leurs réunions de travail. Les notices techniques ne sont pas ou sont mal traduites. La publicité instille massivement des expressions américaines. Enfin cerise sur le gâteau, les émissions de télé réalité prévues pour les adolescents font massivement la promotion d’un français approximatif couplé à un anglais tout aussi approximatif.

[Le 28 mars 2019, 17 H00, J. M., Le Relecq Kerhuon] : Tout à fait d’accord. Je n’ai rien à ajouter.

[Le 28 mars 2019, 13 H10, S. D., Paris] : Mad eo !