N° 129 Cacher ce vin que je ne saurai boire ? Oui au vin casher, non au vin caché !

Depuis plus de 20 ans, ICEO fait la promotion, notamment en Pologne, de la culture traditionnelle du vin, faite de modération et de retenue, culture antinomique avec l’intégrisme hygiéniste et prohibitionniste contemporain. 

Dans une tribune au Figaro, l’écrivain Philippe CLAUDEL et des dizaines de personnalités s’opposent aux associations qui militent pour un «mois sans alcool» en janvier prochain. Une tribune à laquelle l’Institut de coopération avec l’Europe Orientale (ICEO) ne peut que s’associer (lire la tribune ci-après).

 En 2009 ICEO expliquait ainsi l’intérêt de ses actions :

« Pour la promotion dans l’espace européen d’une culture du vin compatible avec les nouvelles exigences de santé publique »

Le temps où la culture du vin était une évidence est fini. L’évolution des modes de restauration et des modes de vie ont considérablement modifié la consommation de vin dans les pays traditionnellement grands consommateurs.

Alors que le vin a été considéré comme un aliment et un élément essentiel de la nourriture en Europe en général et en France en particulier jusqu’à la moitié du XXème siècle, il a tendance à être considéré actuellement, à cause de sa composante alcoolique, comme une « drogue hautement toxique ».

De nombreuses études (notamment celle de Serge RENAULT sur le « French paradox » ) ont montré que les régions françaises où la mort était la plus tardive étaient celles où les habitants buvaient traditionnellement du vin, toute leur vie, avec mesure. Consommé régulièrement et modérément, le vin n’est donc pas toxique.

Les viticulteurs le savent depuis que la vigne existe mais les consommateurs potentiels, buveurs occasionnels, ne savent pas toujours ce que signifie le mot modération. L’excès de consommation tue la consommation, et le consommateur.

La promotion d’une culture du vin compatible avec les nouvelles exigences de la Santé Publique est donc, vitale pour la pérennité de la viticulture dans les régions traditionnellement viticoles, et « vitale » pour les consommateurs.

 En Pologne, pays non producteur, la consommation de vin augmente régulièrement et l’intérêt pour sa culture croît tout aussi régulièrement. De nombreux Polonais vont jusqu’à planter de petites vignes pour vivre leur passion de vigneron néophyte. L’Université Jagellonne de Cracovie a décidé à son tour de créer son vignoble dans l’espoir de faire ses vins. Toutes ces actions œnologiques ont pour but de promouvoir une culture traditionnelle du vin et de favoriser le nouveau savoir boire dont la Pologne a un urgent besoin.

[…]

De même que les fabricants automobiles ne peuvent se désintéresser de la sécurité routière, les producteurs de vin responsables ne peuvent se désintéresser du problème de l’alcoolisme. Alors que la consommation de vin diminue régulièrement dans les pays producteurs, notamment chez les jeunes, l’alcoolisme ne déserte pas pour autant la jeunesse. La mode anglo-saxone du « binge drinking » (en français familier : de « la cuite ») se développe dramatiquement même dans les pays de vieille tradition viticole (Espagne, France etc). Il semble que ce phénomène soit lié surtout à la consommation d’alcool forts mélangés à des boissons sucrées. Les vins de qualité ne sont pas actuellement concernés.

Ce problème de santé publique ne peut trouver sa solution dans la seule prohibition. La culture traditionnelle du vin qui promeut la durée du plaisir (caudalie) est probablement le meilleur antidote à la pratique mortifère du « binge drinking ».

 

Nos actions ont pour modeste ambition de faire vivre la culture traditionnelle du vin et de l’adapter aux exigences du monde nouveau.

À quoi reconnaît-on qu’une civilisation s’effondre? Peut-être au désintérêt dont certains font montre à l’égard de son patrimoine et de sa culture, ouvrant ainsi le chemin à un piétinement général de ses valeurs et de son histoire, et au rétrécissement de son champ d’existence et de liberté.

Certaines voix autorisées – par qui? – s’élèvent aujourd’hui pour stigmatiser la consommation d’alcool et culpabiliser le buveur à chaque fois qu’il s’apprête à caresser les flancs d’un verre avant de le porter à ses lèvres. On évoque même la possibilité d’un «mois sans alcool» dès janvier prochain, suivant en cela, comme les moutons que nous sommes souvent, la toquade anglo-saxonne et puritaine du «dry january».

Cette initiative me consterne. Et je ne sais si la placer de plus en janvier, mois de Saint-Vincent, patron des vignerons, relève de la simple bêtise ou de la provocation.

On parle d’alcool pour accuser. On dit une partie et on oublie un tout, comme si on évoquait seulement les notes et pas la musique, les couleurs et non la peinture, les lettres de l’alphabet et jamais la littérature.

Certes, la molécule d’éthanol est présente dans un armagnac ou un vieux calvados, dans un chassagne-montrachet, un flacon de la Coulée de Serrant, un pauillac, un côte-rôtie, un champagne, un grand vin du Languedoc, mais à la façon de l’armature interne d’une sculpture, qui soutient un ensemble mais n’en constitue pas la beauté. Reprochera-t-on à celui qui contemple le travail de Bourdelle ou de Maillol d’être un pervers adorateur du grillage à poulets sur lequel la glaise ou le plâtre s’appuient et la grâce s’élève?

Une marqueterie de paysages aussi divers

Le pays de France est un faible territoire, en superficie, mais je ne connais au monde nul autre endroit qui offre une marqueterie de paysages aussi divers, posés les uns au côté des autres, et, reliées à ces paysages, enracinées en eux, y tirant leur sève et leur vérité, autant de cultures qui s’incarnent dans l’architecture, la gastronomie, les savoirs, les arts et le vin.

Certes il existe quantité de vignobles sur terre, et des vins remarquables. Mais les plus grands vins naissent dans les terroirs de France, grâce à une géographie unique et un savoir séculaire transmis de génération en génération. Sur cela chacun s’accorde. Faudrait-il commencer à en avoir honte?

Un haut fait culturel français

Au même titre que les châteaux de la Loire, les Pensées de Pascal, la peinture de Poussin, la poésie de Rimbaud, la musique de Pierre Boulez, le vin est un haut fait culturel français, sur lequel se portent les regards et les désirs du monde. Nous sommes les dépositaires de cette richesse. Nous en sommes les heureux bénéficiaires, les gardiens et les garants.

Notre responsabilité est considérable. Bien sûr, on peut vivre sans vin, et nul n’est contraint d’en boire. Les censeurs nous diront qu’on peut alors espérer vivre plus longtemps, ce qui reste encore à prouver. Mais qu’on ne contraigne pas non plus quiconque à s’en priver. Et puis vivre sans plaisir et sans joie, sans lumière et sans fête, sans soleil et sans feu, sans mémoire et sans histoire, est-ce vivre?

Depuis quelques décennies, je m’inquiète de l’inquiétude dont les politiques font preuve à mon égard. Ils se soucient sans cesse de ma santé et de mon intégrité physique, et paraissent conspirer, en dignes successeurs des grotesques médecins de Molière, à m’amener jusqu’à ma mort en parfaite santé.

Commencer à interdire, c’est interdire tout court, et à jamais. On commence par un mois, mais un mois, c’est le début de l’éternité. Et tant qu’à faire, pourquoi ne pas imaginer aussi un mois sans sexe, un mois sans sport, un mois sans paroles, un mois sans pensées, un mois sans imagination, tant on sait combien ces différentes activités peuvent se révéler parfois dangereuses et toxiques pour qui les pratique?

Mettre l’accent sur l’éducation

Plutôt que sur l’interdiction, c’est sur l’éducation qu’il faut mettre l’accent. Apprendre à discerner. Apprendre à connaître. Apprendre à aimer. Apprendre à apprécier le vin, et l’apprécier non pas en fonction de la quantité à boire mais de sa qualité même, car si l’ivresse est à rechercher, c’est bien celle qui naît de l’admiration devant ce qui est singulier, et non celle qui brouille les sens et la raison.

Le vin est un secret fragile. Sa célébration l’est aussi, qui scelle des moments heureux d’amitié et de fête, et des noces mystiques avec des puissances terrestres, géologiques et climatiques, qui nous dépassent.

Il n’est pas inutile de rappeler que dans bien des religions polythéistes et monothéistes, le vin se regarde comme un don des dieux, leur boisson aimée, voire leur sang. Tout cela nous dit que le vin n’est en rien banal, qu’il n’est en rien commun, mais qu’il est l’incarnation d’un supplément d’âme dont on voudrait aujourd’hui peu à peu nous priver.

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L’écrivain Philippe CLAUDEL a publié cette tribune cosignée par les chefs cuisiniers Cyril LIGNAC et  Guy SAVOY, le violoncelliste Gautier CAPUÇON, les comédiens Pierre ARDITI et François BERLÉAND, le réalisateur Bertrand BLIER, les écrivains Jean-Claude CARRIÈRE et Katherine PANCOL, la championne de tennis Amélie MAURESMO

Ce texte a été également cosigné par Christophe ALÉVÊQUE, humoriste ; Yannick ALLENO, chef restaurateur ; Laurent BATSCH, universitaire ; Éric BEAUMARD, vice-meilleur sommelier du monde (1998) ; Serge BLANCO, ancien international de rugby ; Philippe BOURGUIGNON, chef d’entreprise ; Pascal BRUCKNER, écrivain ; Éric CARRIÈRE, footballeur ; Philippe CAUBÈRE, comédien ; Antoine de CLERMONT-TONNERRE, producteur ; Vincent DULUC, journaliste sportif ; Guy FORGET, joueur de tennis ; Jean GACHASSIN, ancien président de la Fédération française de tennis ; Jean-Philippe GIRARD, PDG d’Eurogerm ; Gérard IDOUX, chef cuisinier ; Gaspard KOENIG, essayiste ; Emmanuel KRIVINE, chef d’orchestre ; Jean-Marie LACLAVETINE, éditeur et romancier ; Christian LE SQUER, chef cuisinier ; Dominique LOISEAU, présidente du groupe Bernard Loiseau ; Michel MAFFESOLI, sociologue ; Carole MARTINEZ, écrivain ; Éric MATTON, éditeur ; Mathieu PACAUD, chef cuisinier ; Emmanuel PETIT, ancien footballeur ; Jean-Pierre PERNAUT, journaliste ; Hervé PIERRE, sociétaire de la Comédie-Française ; Éric PRAS, chef cuisinier ; Denis ROBERT, journaliste et écrivain ; Jean SÉVILLIA, journaliste et écrivain ; Laurent STOCKER, sociétaire de la Comédie-Française ; Anne SYLVESTRE, chanteuse ;et Michel TROISGROS, chef cuisinier.

[Le 10 décembre 2019, 12 H30, G. B., Montpellier] : Quelle tristesssse ! Quelle inculture ! Comment peut-on parler d’innovation en parlant d’un mois sans alcool ? Depuis près de 2000 ans cela s’appelle faire carême !

[Le 10 décembre 2019, 12 H25, J. M., Perpignan] : Vivre ou durer ?

[Le 10 décembre 2019, 10 H10, M. G., Cassis] : En 2013, le journal Libération a publié un article avec un titre proche du votre, « Cachez ce vin que je ne saurai boire« . Le sujet de la tribune publiée dans Le Figaro peut être résumé par votre titre, par contre le sujet « léger » traité  par Libération  ne méritait pas tant de recherche.