N° 351 Un livre et deux façons de le lire

Depuis la publication en 1973 du livre La France de Vichy, un sentiment de honte accable la majorité des Français, comme si tous leurs aïeux s’étaient fort mal comportés sous l’Occupation. Le livre de Claire ANDRIEU est de nature à leur redonner de la fierté, pour peu qu’ils sachent bien le lire.

 

« C’est librement que je me suis rendu à l’invitation du Führer. […] J’entre, aujourd’hui, dans la voie de la collaboration. » Ces terribles paroles du maréchal PÉTAIN, radiodiffusée le 30 octobre 1940 hantent douloureusement la mémoire des Français depuis la publication des travaux de l’historien américain Robert O PAXTON.

Jusqu’en 1973 le consensus historique retenait surtout la passivité et l’impuissance du gouvernement français sous l’Occupation.

L’Histoire de Vichy , l’ouvrage de Robert ARON publié en 1954 était alors la référence sur les années « Vichy ». Dans son travail documenté, l’auteur n’abordait quasiment pas la responsabilité du gouvernement de Vichy. Il y défendait même la thèse de l’épée, incarnée par de GAULLE, et du bouclier, incarné par PÉTAIN.

Selon cette théorie, qui incarnait la doxa des historiens à l’époque, PÉTAIN et son gouvernement auraient tout fait pour protéger les Français, malgré les circonstances et auraient même mené un double-jeu contre les autorités allemandes.

Cette théorie erronée, aujourd’hui totalement réfutée et abandonnée, a fait malheureusement place à une théorie nouvelle faisant de la France entière un pays de collaborateurs.

Ce sentiment est devenu si largement partagé que les journalistes aujourd’hui sont plus enclins à relever ce qui confirme cette thèse que ce qui l’infirme.

À sa sortie en avril 2021, le livre de Claire ANDRIEU n’a pas échappé à une lecture orientée.

Dans son article de mai 2021, Le Monde met en avant le fait que : « le gouvernement [de Paul REYNAUD] [ait] sous-estimé les dispositions guerrières des civils, qu’il aurait pu mobiliser». Sous entendu, ah quel dommage que les Français n’aient pas été invités à résister plutôt qu’à collaborer, à l’image du chef de l’État français.

Il faut attendre octobre 2021 pour lire dans un article publié dans l’hebdomadaire Valeurs actuelles l’information qui aurait dû écraser toutes les autres :

« Très vite, les équipages britanniques, puis américains vont bénéficier durant leur formation, de cours d’évasion fondés sur le retour d’expérience de leurs camarades de combat abattus. 

À tous, on rappelle que 90 à 99% des Français qu’ils rencontreraient seraient susceptibles de leur venir en aide. »

90 à 99% des Français susceptibles de secourir les équipages d’avions alliés abattus

Seconde guerre mondiale : 75% des Juifs français sauvés, taux record, selon les États-Unis [RTL 9 décembre 2014]

Les trois quarts des Juifs français furent sauvés de la déportation pendant la Seconde guerre mondiale, soit la proportion la plus élevée de tous les pays occupés par les nazis, a affirmé ce lundi un responsable américain.

« Je crois que quasiment personne ne reconnaît ceci : la France, de tous les pays sous occupation nazie, a eu de loin le pourcentage le plus élevé de Juifs qui furent sauvés », a souligné Suart EIZENSTAT, conseiller spécial sur l’Holocauste du secrétaire d’État John KERRY, à l’occasion de la signature d’un accord entre les États-Unis et la France sur l’indemnisation de victimes, notamment américaines, de la Shoah.

75% des Juifs français ont été sauvés durant la Shoah, selon les États-Unis

À l’occasion de la mort des deux derniers compagnons de la Libération tous les médias ont tenu à souligner avec une certaine forme de masochisme que les résistants et les engagés dans les Forces Françaises Libres avaient été fort peu nombreux.

N° 344 Le dernier compagnon de la Libération, Hubert GERMAIN, est mort.

N° 263 L’avant-dernier compagnon de la Libération, Daniel CORDIER, est mort.

D’où le faible nombre de titres de « compagnon » qui ont été attribués à titre individuels et encore moins à titre collectif, comme pour l’île de Sein.

Si l’on en croit le chiffre de 99% donné par les Anglais et le chiffre de 75% donné par les Américains, une large majorité des Français ont eu une attitude héroïque pendant la Guerre.

La France entière, comme Paris,  Nantes, Grenoble, … aurait donc pu devenir « compagne de la Libération » sans insulter gravement la vérité historique.

Résumé

Plus de cent mille aviateurs ont été précipités au sol par la chute de leur avion entre 1939 et 1945.

Plus de la moitié ont perdu la vie, un tiers ont été faits prisonniers, et près de 10 % ont réussi à échapper à leurs poursuivants.

Face à ces hommes « tombés du ciel », les civils ne réagirent pas tous de la même façon : les Français de mai-juin 1940 résistèrent à l’envahisseur ; les Anglais firent prisonniers les aviateurs de la Luftwaffe avec retenue ; les Français occupés cachèrent les Alliés et les aidèrent à rejoindre l’Angleterre ; les Allemands les lynchèrent à partir de 1943.

« Tombés du ciel. Le sort des pilotes abattus en Europe, 1939-1945 »

« Tombés du ciel », de Claire ANDRIEU : ces soldats de l’air tombés aux mains des civils.

L’historienne signe une étude novatrice sur le sort des militaires ayant dû atterir (sic) en territoire ennemi pendant la seconde guerre mondiale.

Par Antoine FLANDRIN

Publié dans Le Monde le 14 mai 2021

Le 11 septembre 1941, le pilote P. F. ALLEN et ses camarades survolent la région de Dijon. Mais le moteur a des défaillances, et l’équipage britannique est contraint à une descente forcée sur le sommet d’une colline. Recherchés par les Allemands, les quatre aviateurs se mettent en route. C’est le début d’une odyssée de cinquante jours à travers la France. Partout, de la Bourgogne à l’Espagne, ils vont être guidés, conduits, cachés, nourris par des helpers (« assistants ») français. Un récit aussi invraisemblable, à première vue, que pouvait l’être La Grande Vadrouillele célébrissime road-movie français de 1966, qui entretenait le mythe d’une France unanimement résistante, alors largement admis.

Pourtant, dans Tombés du cielClaire ANDRIEU, professeure d’histoire contemporaine à Sciences Po, montre à partir d’une myriade d’exemples que, dans l’ensemble du pays occupé, l’arrivée au sol d’aviateurs alliés déclenche souvent le même type de réaction : les civils les cachent et les aident à s’évader. Cette étude novatrice, qui détaille la somme de tâches lourdes et répétitives que cela implique – recherche de vêtements civils adaptés, de nourriture, de médecins… –, jette une lumière vive sur une réalité méconnue. En replaçant cette société des helpers dans son contexte national, matériel et moral, et en montrant son autonomie face aux autorités françaises et allemandes, l’historienne restitue la signification politique de son action, qu’elle reconnaît comme fait de résistance à part entière.

Résistance populaire

Mais ce n’est pas le seul renouvellement historiographique bienvenu de ce livre. Dans le prolongement des études récentes sur la France de 1940 qui donnent à voir, au-delà de la débâcle militaire et morale, des hommes se battant pour la défense du territoire, Claire ANDRIEU indique qu’en mai-juin les civils français font prisonniers de 400 à 700 navigants de la Luftwaffe – dont 25 au moins maltraités et 7 tués.

Cette résistance populaire à l’invasion tend à prouver que le gouvernement [de Paul REYNAUD] a sous-estimé les dispositions guerrières des civils, qu’il aurait pu mobiliser.

Très vite, les équipages britanniques, puis américains vont bénéficier durant leur formation de cours d’évasion fondés sur le retour d’expérience de leurs camarades de combat abattus.

À tous, on rappelle que 90 à 99% des Français qu’ils rencontreraient seraient susceptibles de leur venir en aide.

[Le 6 novembre 2021, 12 H00, N. N-C., Nantes] : Dans l’article, L’école, l’école et encore l’école, mis en ligne sur votre site en 2013, j’ai pu lire la note [62] page 22 :  Collaboration : Lors de la campagne présidentielle de 2002, l’un des militants du comité de soutien à Jean-Pierre CHEVÉNEMENT posa à Lucie et Raymond AUBRAC, avec lesquels il avait l’honneur de déjeuner à Montpellier, la question : « Les Français ont-ils été collaborateurs pendant la guerre ? ». Lucie répondit sous le contrôle de Raymond : « Peu de Français ont été résistants, mais s’ils avaient été vraiment « collabos », nous les résistants actifs, nous n’aurions pas survécu longtemps en raison de notre manque de moyens et de savoir faire. »

Cette note corrobore parfaitement les chiffres de 90 à 99 % données dans votre article.