N° 085 Le Vatican veut changer le système économique

  Par Anne de GUIGNÉ : article publié dans le Figaro le 29 mai 2019

Le cardinal TURKSON était à Paris pour rencontrer des associations catholiques liées au monde financier. Quand l’Église catholique se penche sur la finance et l’économie, elle n’hésite pas à renverser la table. Le cardinal Peter TURKSON, préfet du Dicastère pour le service du développement humain intégral, une sorte de ministère des droits de l’homme du Vatican, est venu le rappeler cette semaine à Paris.

Ce proche du pape François a rencontré mardi et mercredi des associations catholiques, dont les Entrepreneurs et dirigeants chrétiens (EDC), qui tentent de réconcilier leur engagement professionnel avec leur foi.

Il leur a rappelé l’injonction première du Vatican: l’économie et la finance doivent profiter à tous. «Pour le Pape, le mot-clé, c’est l’inclusion, a insisté le prélat ghanéen, arrivé à Rome il y a dix ans. Il faut gérer les ressources de la maison terre de façon à ce que tous les membres en profitent.» Autrement dit, l’économie doit «servir l’humanité au lieu de la gouverner» en instaurant une «croissance circulaire, durable, équilibrée et inclusive».

L’Église a des idées très précises sur les moyens à mettre en place pour atteindre cet objectif ambitieux. Depuis l’explosion de la dernière crise financière en 2008, ses experts réfléchissent sur la manière concrète de refonder le système financier. Leurs conclusions ont été développées dans le texte «Oeconomicae et Pecuniariae Quaestiones», publié en janvier 2018. Pour donner à la finance un cadre éthique, l’Église propose des remèdes de cheval – que même les plus catholiques dirigeants d’institutions financières auront du mal à applaudir! Au programme, un renforcement de la régulation mondiale car «l’expérience des dernières décennies a démontré […] combien il est naïf de croire en une autosuffisance présumée des marchés», l’introduction d’une homologation par les autorités publiques de tous les produits issus de l’innovation financière, une réforme de la gouvernance des entreprises avec introduction de comités d’éthique «fonctionnant au côté des conseils d’administration», l’encouragement du crédit coopératif «au service des familles, des entreprises, des collectivités locales ou le crédit d’aide aux pays en voie de développement»…

Le Vatican s’adresse aussi aux États en leur demandant de bien jauger leurs dépenses et investissements afin d’éviter la spirale «d’un endettement insoutenable». Le cardinal a encore fait part cette semaine de sa préoccupation de voir des entreprises «mettre en œuvre des politiques économiques qui ne servent pas à stimuler la santé économique des entreprises, mais uniquement les profits des actionnaires». Un point qui fait écho aux préoccupations du gouvernement français, qui a introduit récemment dans la loi la notion d’objet social de l’entreprise.

Économies alternatives

Le cardinal a enfin rappelé que chacun, par «son porte-monnaie et ses choix individuels, a le pouvoir d’influencer l’industrie financière pour la pousser au bien-être de la communauté humaine». Le Vatican devrait d’ailleurs bientôt publier de nouveaux textes sur le thème de l’investissement, dont un document intitulé «Mensuram bonam: l’investissement en cohérence avec la foi». Toujours dans cette perspective de changer le système, le pape François a convoqué il y a quinze jours les jeunes de tous les pays, spécialistes en économie, à venir participer à un forum en 2020 à Assise, en Italie, afin de discuter des économies alternatives. «Nous voulons un changement, un changement réel, un changement de structures», prévenait le Souverain Pontife, en 2015, lors de son voyage en Bolivie.

 

[Le 2 juin 2019, 16 H10, G. S., Toulouse] : Affaire à suivre !