N° 038 Nous, nous n’avons pas pu lire le livre de Philippe de VILLIERS sur l’Europe.

Mais nous en avons beaucoup entendu parler.

Depuis le 6 mars, la parution du livre « J‘ai tiré sur le fil et tout est venu »  fait beaucoup de bruit, et suscite de nombreuses et violentes critiques.

N’ayant pu lire le dernier livre de Philippe de VILLIERS, nous sommes incapables à l’heure qu’il est de féliciter ou de blâmer l’auteur pour son ouvrage. En revanche nous savons déjà que son éditeur mérite un grand coup de chapeau pour la campagne de promotion du livre, qu’il a organisée de façon magistrale. Depuis le samedi 6 mars, ce livre « choc » a bénéficié et bénéficie encore d’une couverture médiatique d’exception. Invité sur tous les plateaux de télévision, interviewé sur toutes les radios , et bénéficiant de très nombreux articles dans la presse, l’auteur a pu ainsi faire valoir largement ses vues et sa façon de penser.

C’est pourquoi nous n’avons aucun scrupule à relayer un article rédigé par l’un des plus virulents contempteurs de Philippe de VILLIERS. Si son livre est aussi solidement argumenté que le prétend l’auteur il passera l’épreuve de l’analyse critique à son avantage. Si les faits rapportés dans l’ouvrage ne sont qu’affabulations, ils seront assurément démentis.

Certes il faut parfois patienter de longues années avant de connaître la vérité. Les exemples dans ce domaine ne maquent pas. Les Polonais ont dû attendre 1991 avant que le monde entier reconnaisse enfin la responsabilité de Staline dans le massacre de plusieurs milliers de leurs officiers à Katyn.

On a lu le livre de Philippe de VILLIERS sur l’Europe

Délirant, mensonger, dégoûtant…  Son brûlot est si absurde qu’il a redonné envie à François REYNAERT, qui se présente parfois dans ses chroniques sous le pseudonyme d’Uncle Obs, de défiler dans les rues vêtu d’un gilet bleu étoilé en hurlant l’Hymne à la joie. Article publié le 10 mars 2019.

Parfois vos convictions européennes fléchissent. Parfois, ce grand projet qui devrait être magnifique vous semble gai comme une directive de la Commission sur la taille du concombre. Dans ces moments, il faut penser aux phares de la pensée qui vous éclairent et vous rappellent où est le cap. Il faut penser par exemple à Philippe de VILLIERS.

Je le dis sans rire.

Pour moi, ça ne rate jamais. Dès que j’ai un doute sur la nécessité de l’Union européenne, je lis quelques lignes de ceux qui, comme lui, la poursuivent de leur haine délirante et ça me donne envie de défiler dans les rues vêtu d’un gilet bleu étoilé en hurlant l’hymne à la joie sous des posters géants de M. MOSCOVICI.

En cette veille d’élections, M. de VILLIERS nous gâte. Il publie 400 pages qui prétendent jeter à bas la construction européenne en montrant à quel point elle était viciée dès ses débuts. L’auteur affirme que l’idée de cette enquête lui est venue en repensant à une phrase mystérieuse que lui avait dite, il y a plus de trente ans, Maurice COUVE de MURVILLE. Le nom de cet ancien ministre de De GAULLE parlera sans doute aux 120 ans et plus. Les autres noteront surtout que ce brave homme a eu l’élégance de mourir depuis assez longtemps pour ne pas pouvoir démentir les propos qu’on lui prête. La phrase en question donne son titre au livre : «J’ai tiré sur le fil du mensonge et tout est venu» (Fayard).

HITLER + CIA

En tirant lui-même sur quelques lignes du bouquin, le lecteur comprend rapidement que le fil en question tient de la grosse ficelle. On peut résumer la thèse défendue de façon succincte : chez les fondateurs de l’Europe, ces Satan qui complotaient contre la fin de la Fraaaance éternelle, on ne trouve que deux catégories d’individus :

  • des pétainisto-nazis ;
  •  des agents américains payés par la CIA.

Le livre donc est vendu en Une par les déma-gogos de «Valeurs actuelles» comme une «bombe» bourrée de révélations explosives. La quatrième de couverture, ne reculant devant rien, même pas devant des clichés dont on croyait qu’ils avaient été interdits sous peine de punition corporelle par le syndicat national de l’édition, affirme que de sa lecture, «le lecteur ne sort pas indemne». L’auteur non plus. Notre excellent confrère Thomas MALHER du «Point», nous ayant devancé sur le coup, a fait de l’ouvrage une lecture rigoureuse et détaillée qui démontre par mille exemples que le missile promis tient surtout du gros pétard mouillé.

En gros, au hasard des chapitres, on trouve soit des trucs complotistes du niveau d’un François ASSELINEAU, soit des révélations tellement inédites, tellement inouïes qu’il suffit de deux clics pour les trouver sur Internet. Pour ajouter au tableau, «Le Point» s’amuse à citer une paire de pages qui, pompées quasi mot pour mot à d’autres auteurs et citées sans guillemets, relèvent du plagiat. Pour accoucher de tout ça, l’Albert LONDRES de la Vendée profonde affirme avoir lancé des «brigades d’enquêteurs» dans toutes les salles d’archives du monde occidental. Ils lui ont donc rapporté pour l’essentiel, rappelons-le, des trucs disponibles sur Wikipédia. On ne sait dans quelle salle de répétition du Puy-du-Fou il a déniché pareilles vedettes. On espère qu’ils sont meilleur figurants que journalistes.

Mauvaise foi himalayesque

Je vous avoue n’avoir lu moi-même ce long pensum que d’un orteil distrait. Il me semble toutefois essentiel de dire deux mots du fond de la thèse qu’il martèle avec la finesse et la crédibilité d’un tweet de Donald TRUMP. L’Europe, serait donc, à cause des personnalités qui l’ont faite, la fille monstrueuse de l’hitlérisme et des services secrets américains.

La première accusation est tellement énorme qu’on se sent presque gêné d’avoir à la réfuter. Pour asseoir son réquisitoire, le VYCHINSKI de la droite identitaire s’en prend surtout à deux cibles: Walter HALLSTEIN, un Allemand au nom un peu oublié qui fut le premier président de la commission de Bruxelles et Robert SCHUMANN,  le «père de l’Europe», l’homme qui, par sa déclaration de 1950 (commémorée tous les 9 mai) lança la construction européenne.

Il se trouve que, comme à peu près tous les juristes allemands, HALLSTEIN fut inscrit dans les années 1930 aux associations professionnelles prises en main par les nazis, puis, comme une majorité d’Allemands, servit dans la Wehrmacht. Robert SCHUMANN, sous-ministre du gouvernement de Paul REYNAUD au moment de la défaite de 1940, fut reconduit sans qu’on lui demande quoi que ce soit dans le premier gouvernement de Pétain formé en juin 1940, mais il n’y siégea jamais ; puis, le 10 juillet, comme d’autres parlementaires démocrate-chrétien, il vota les pleins pouvoirs à Pétain en juillet.

Les deux points – connus depuis longtemps et vérifiables en un clic de souris – sont exacts. Dans la meilleure tradition du raisonnement conspirationniste, VILLIERS les extrait de leur contexte historique, et les tord avec une mauvaise foi himalayesque pour les faire aller dans le sens de son délire. Oui, comme des millions d’Allemands, HALLSTEIN a été affilié à une association liée au parti nazi. A-t-il été pour autant été nazi? A-t-il été proche d’HITLER, conseiller occulte ou on ne sait quoi de ce genre? Jamais. Oui, SCHUMANN a voté les pleins pouvoirs… mais quelques semaines plus tard, il a été arrêté par la Gestapo et a passé une partie de la guerre en résidence surveillée avant de s’en échapper pour survivre dans la clandestinité.

Et Benoît XVI ? Et COUVE de MURVILLE ? 

En quoi ces informations sur ces personnalités devraient-elles nous prouver quoi que ce soit de particulier sur la jeune construction européenne des années 1950, plus que sur l’après guerre en général, toutes tendances, tous partis confondus? Tout ce qui a été fait après guerre l’a été par une génération parmi laquelle seule une minorité a eu un comportement héroïque et sans tâche, là où tant d’autres ont eu un passé, disons, compliqué.

Pourquoi M. de VILLIERS, qui ose jouer au Jean MOULIN des bocages, n’étend-il pas sa vertueuse inquisition à d’autres institutions? Walter HALLSTEIN avait été affilié à des organisations professionnelles nazies exactement comme l’ancien pape Benoît XVI avait été enrôlé dans les jeunesses hitlériennes… Doit-on s’attendre à un livre fracassant qui parte de ce fait pour nous prouver que l’Eglise catholique est une organisation nazie? SCHUMANN a fait l’erreur de voter les pleins pouvoirs à PÉTAIN. Est-il le seul de la génération à s’être fourvoyé?

M. de  VILLIERS, qui doit mal travailler ses dossiers, trouve judicieux de placer son ouvrage sous le haut parrainage posthume de Maurice COUVE de MURVILLE. Pour qui veut jouer au chevalier blanc du résistantialisme, c’est un choix malheureux. L’homme a été un grand gaulliste, c’est vrai, mais l’est devenu fort tard. Il n’est arrivé à Alger qu’en 1943, après avoir été jusque-là un des piliers du ministère de l’économie de Vichy. Dois-je conclure que le livre de VILLIERS, qui en fait son héros, est un ouvrage de collabo ?

Gommés, SPINELLI, CHURCHILL, BLUM, SPAAK, VEIL…

Bien sûr que non, l’Europe n’a pas été fondée par des nazis. La plupart de ceux qui l’ont faite ont été des pourfendeurs du nazisme. Les magnifiques jeunes résistants allemands du groupe de la Rose Blanche, exécutés par les nazis, sont morts en rêvant d’un temps d’amitié entre tous les peuples d’Europe. Altiero SPINELLI, qui a donné son nom à un des bâtiments du parlement de Bruxelles, a lancé l’idée fédéraliste européenne en exil sur une petite île italienne, après une décennie dans les geôles de MUSSOLINI. Le mouvement européen, créé juste après la guerre pour faire vivre cette idée, a été présidé par CHURCHILL et Léon BLUM. Deux nazis? Et le socialiste belge SPAAK qui a passé toute la guerre en exil à Londres? Et Simone VEIL, militante de ce juste combat dès son retour des camps? On a la nausée d’avoir à infirmer une thèse répugnante qui souille tant de mémoires.

L’Europe a été faite pour en finir avec le poison nationaliste qui a été la source de ses malheurs. Qu’un nationaliste revendiqué ose prétendre le contraire est tellement énorme qu’on devrait se contenter d’en rire. 

Un mot enfin sur l’autre accusation : l’Europe, jouet américain, créée de toutes pièces par Jean MONNET , ce valet servile de Washington. Pour le coup, le refrain est connu, on n’a entendu que lui dans les années 50. Poussés dans le dos par De GAULLE, qui détestait MONNET (lequel, il est vrai, lui rendait bien), les gaullistes l’ont chanté sur tous les tons, en chœur avec les communistes, indéfectibles porte-voix de STALINE.

C’est vrai, MONNET était très pro-américain, et très anti-gaulliste – parmi les premiers européens, bien d’autres ne l’étaient pas. C’est vrai, la construction européenne a été soutenue, appuyé dans les années 1950, par les Américains. Ils avaient des raisons pour cela. Leur obsession était d’unir l’Europe occidentale et d’y arrimer l’Allemagne de l’Ouest, en première ligne face au grand péril du moment, qui était le totalitarisme soviétique. Doit-on regretter une communauté qui nous a permis de mieux y résister?

Depuis, l’Europe s’est peu à peu émancipée de son grand parrain, mais elle a toujours pour fonction de nous protéger des périls du moment. Ils ne sont plus les mêmes. Notre Union a d’autres ennemis. Par exemple TRUMP et POUTINE qui tous deux, à leur façon, espèrent sa division pour mieux nous dominer et nous asservir.

L’un et l’autre sont les héros de M de VILLIERS.

Ça donne idée de la nature du personnage et de ses motivations.

François REYNAERT

[Le 12 mars 2019, 23 H25, A B, Les Sables d’Olonne] :  J’ai lu les extraits publiés par le Fig Mag. Parler de révélations me parait  bien abusif. Qu’un des fondateurs allemands de l’Europe, Walter Hallstein, ait été national socialiste entre 33 et 45, comme l’immense majorité de la population du Reich, n’a rien de bien surprenant. Qu’il ait adhéré aux organismes corporatifs encadrant sa profession non plus. Il ne s’est pas suicidé en 45 et a cherché à faire survivre son pays.

Quant au financement de Jean Monnet par les américains, il est difficile de trouver sous la IV° République un parti ou un syndicat qui ne soit pas peu ou prou financé par Washington. Ceux qui ne le sont pas – PC, CGT et annexes –  le sont par Staline et lui obéissent au doigt et à l’œil. La France entière est financée par le plan Marshall et Blum est allé vendre la programmation des cinémas français à Hollywood en échange d’une aide budgétaire. Vrai encore que Robert Schuman a voté les pleins pouvoirs à Pétain, comme toute la Chambre du Front Populaire élue en 36 sauf 80 députés. Quant à Couve de Murville, il a servi Vichy jusqu’en 43 comme Papon et  presque toute la fonction publique, ce qui n’a pas empêché de Gaulle d’en faire son ambassadeur puis son Ministre des Affaires étrangères.

En Aout 44, les quarante millions de français  n’ont pas disparu pour être remplacés par quarante millions de gaullistes. Le bouquin de de Villiers ne peut surprendre que des lecteurs totalement ignares de l’histoire de leur pays.