N° 399 Hommage polémique à ROBESPIERRE

Depuis sa création,  ICEO est sans haine, mais pas sans mémoire !

L’hommage rendu à Arras en 2022 par des députés de la France Insoumise à Maximilien de ROBESPIERRE, 228 ans après sa mort le 28 juillet 1794, soulève une nouvelle polémique entre ceux qui y voient un héros et ceux qui pourfendent un tyran.

Ce débat tord la réalité historique, selon l’historien Jean-Clément MARTIN (voir l’article publié dans Marianne le 28 juillet 2022).

Pour Michel ONFRAY, honorer ainsi ROBESPIERRE revient à nier les crimes de la Terreur, en plus de trahir une conception dangereuse de l’Histoire et de la violence en politique.

Depuis les années 1980 l’historien Reynald SECHER accuse ROBESPIERRE d’avoir commis en Vendée un génocide. Ce que Jean-Clément MARTIN rejette avec constance.

A la veille de Noël (2011), les députés français ont décidé de pénaliser la négation de tous les génocides. Le parlement français n’ayant reconnu à ce jour que deux génocides et la loi GAYSSOT pénalisant la négation de la Shoah, cette nouvelle pénalisation de la négation de TOUS les génocides ne peut viser, objectivement, que le génocide arménien, reconnu officiellement comme tel par l’Assemblée nationale française en 2001.

En 2012, comme en 2001, le gouvernement turc contesta vivement les accusations de génocide des députés français. Les arguments avancés par la grande majorité des historiens turcs étaient si semblables à ceux employés par les Robespierristes en France, qu’ICEO tint à publier, par amitié pour ses vieux amis en Turquie, un article intitulé, en français : S’il n’y a pas eu génocide, ça y ressemble ! et en turc : Soykırım olmadıysa da bu ona benziyor !

Dans la revue Front populaire, le philosophe ONFRAY se fait historien et met les points sur les « i » pour les élus de LFI.

ANALYSESRÉVOLUTION FRANÇAISE – Texte de Michel ONFRAY publié le 1er août 2022 dans la revue Front Populaire FP  : ROBESPIERRE chez les schizophrènes

EDITO. Le 28 juillet, trois députés de La France Insoumise (LFI) ont « rendu hommage » à Maximilien de ROBESPIERRE lors d’un déplacement à Arras, ville natale de « l’Incorruptible« , à l’occasion du 228ème anniversaire de son exécution. Pour Michel ONFRAY, honorer ainsi ROBESPIERRE revient à nier les crimes de la Terreur, en plus de trahir une conception dangereuse de l’Histoire et de la violence en politique.

La chose est entendue avec le Maréchal PÉTAIN : on estime qu’on ne saurait célébrer le vainqueur de Verdun en économisant le fait qu’il fut aussi l’homme de la collaboration avec les nazis. Déposer une gerbe à l’homme qui a vaincu les Allemands lors de la Première Guerre mondiale, comme le fit longtemps le président François MITTERRAND, ne saurait se faire sans fleurir en même temps celui qui est allé au devant des désirs de l’occupant lors de la Deuxième.

Car l’un est l’autre, l’autre est l’un, et l’on ne saurait refuser l’unité d’un être sans pratiquer soi-même une certaine schizophrénie grâce à laquelle on croit pouvoir dissocier l’un de l’autre comme on séparerait le bon grain de l’ivraie. Avec cette façon de procéder qui extrait ce qui est utile à l’idéologie en jetant le reste de l’être et de l’œuvre aux poubelles de l’Histoire, les amis des animaux pourraient célébrer Adolf Hitler eu égard aux chiens qu’il aimait et à la législation nazie très en faveur des oies dont il interdisait le gavage, mais il leur faudrait alors estimer que l’instigateur de la Solution finale et de la mise à feu et à sang de l’Europe, serait un autre homme… Chacun voit bien ici comment fonctionne le paralogisme.

Pourquoi donc faut-il qu’avec ROBESPIERRE il en aille autrement et que certains puissent aimer l’un, celui des droits de l’homme et de la Vertu, l’opposant à la guerre et à la peine de mort, en estimant qu’il n’a rien à voir avec l’autre, qui promeut la Loi des suspects, le Tribunal révolutionnaire, le gouvernement par la Terreur, le génocide vendéen et le recours effréné à la guillotine?

Car c’est ainsi que fonctionnent les robespierristes, et ils sont nombreux ces temps-ci. Quand ils veulent sauver leur héros et qu’ils n’ont pas le front de franchement légitimer les deux cent mille morts de la Révolution française, ils escamotent les moments les plus terroristes de ROBESPIERRE pour les transformer en détail d’une histoire qui marcherait vers son accomplissement radieux…

Il faut penser un être dialectiquement et ne jamais l’essentialiser tout entier : ROBESPIERRE fut en effet un opposant à la peine de mort, mais seulement dans un discours resté fameux du 30 mai 1791, car il fut aussi, et de manière plus constante, un farouche partisan de la même peine de mort avec Louis XVI et Marie-Antoinette, avec Charlotte CORDAY et avec les charrettes de girondins, d’hébertistes, avec son ami DESMOULINS et sa femme Lucile, avec Anacharsis CLOOTS et ses amis athées, avec Jacques ROUX et ses enragés ainsi qu’avec tous ceux dont il estimait qu’ils n’avaient pas fait assez dans l’ordre des raisons révolutionnaires selon son caprice – sans oublier tous les Vendéens dont il décrète la mort du fait qu’ils sont ce qu’ils sont, et non pas du fait qu’ils auraient fait ce qu’ils auraient fait.  Or, donner l’ordre de massacrer une population du simple fait qu’elle est ce qu’elle est, et non qu’elle ait fait ceci ou cela, c’est la définition même du crime de masse génocidaire.
L’homme qui proclame à la tribune de la Constituante: « Je viens prier, non les dieux, mais les législateurs, qui doivent être les organes et les interprètes des lois éternelles que la divinité a dictées aux hommes, d’effacer du code des Français les lois de sang qui commandent des meurtres juridiques, et que repoussent leurs mœurs et leur constitution nouvelle. Je veux leur prouver: 1° que la peine de mort est essentiellement injuste; 2° qu’elle n’est pas la plus réprimante des peines, et qu’elle multiplie les crimes beaucoup plus qu’elle ne les prévient » est en effet, à cette date un opposant à la peine de mort. Mais à cette date seulement…

Comme il n’est pas sot et qu’il a la mémoire des choses qu’il proclame à la tribune, d’autant que tout est noté, ROBESPIERRE affirme à la Convention le 3 décembre 1792 :

« Pour moi, j’abhorre la peine de mort prodiguée par vos lois, et je n’ai pour Louis ni amour ni haine ; je ne hais que les forfaits. J’ai demandé l’abolition de la peine de mort à l’Assemblée que vous nommez maintenant Constituante, et ce n’est pas ma faute si les premiers principes de la raison lui ont paru des hérésies morales et politiques. Mais vous, si vous ne vous avisâtes jamais de les réclamer en faveur de tant de malheureux, dont les délits sont moins les leurs que ceux du gouvernement, par quelle fatalité vous en souvenez-vous seulement pour plaider la cause du plus grand de tous les criminels ? Vous demandez une exception à la peine de mort pour celui-là seul qui peut la légitimer ? Oui, la peine de mort en général est un crime, et par cette raison seule que, d’après les principes indestructibles de la nature, elle ne peut être justifiée que dans les cas où elle est nécessaire à la sûreté des individus et du corps social.

Or, jamais la république ne la provoque contre les délits ordinaires, parce que la société peut toujours les prévenir par d’autres moyens, et mettre le coupable dans l’impuissance de lui nuire. Mais un roi détrôné au sein d’une révolution qui n’est rien moins que cimentée par les lois, un roi dont le nom seul attire le fléau de la guerre sur la nation agitée, ni la prison, ni l’exil ne peut rendre son existence indifférente au bonheur public; et cette cruelle exception aux lois ordinaires que la justice avoue, ne peut être imputée qu’à la nature de ses crimes. Je prononce à regret cette fatale vérité… Mais Louis doit mourir, parce qu’il faut que la patrie vive. »

Ce qui, délivré de la sophistique et de la rhétorique, du salmigondis d’avocat et de la perfidie jésuite, du jargon jacobin et de la péroraison d’orateur, donne ceci : « Je suis contre la peine de mort, sauf quand je suis pour… » Mais aussi : « Je n’ai pas de haine contre Louis XVI, mais je hais Louis. » Ou bien encore : « La peine de mort est un crime, sauf quand je la décrète. » Voire également : « La République ne veut jamais le châtiment suprême, sauf quand elle doit le décider. » ORWELL n’aura qu’à se baisser pour ramasser ces premières perles d’un penseur de l’État totalitaire.

ROBESPIERRE, qui est contre la peine de mort, sauf quand il est pour, est également un républicain emblématique, sauf quand il est un monarchiste avéré, comme l’année qui suit sa proclamation abolitionniste… Or, on ne sache pas que les robespierristes défendent la monarchie en se réclamant du ROBESPIERRE qui proclame à la tribune des Jacobins : « Écartons ce mot de « républicain ». Le mot « républicain » n’est rien, ne nous donne rien des avantages que présente la chose, que nous assure notre Constitution. » Il dit alors clairement qu’il soutient la monarchie constitutionnelle – pas la république…  Lisons plus loin : « Je déclare, moi, et je le fais au nom de la société qui ne me démentira pas, que je préfère l’individu que le hasard, la naissance, les circonstances nous ont donné pour roi à tous les rois qu’on voudrait nous donner. » Il est donc à cette époque véritablement monarchiste. Nous sommes le 2 mars 1792, la Révolution va bientôt fêter ses trois ans…

Le même ROBESPIERRE est également contre la guerre. Or il a d’abord été pour, mais, comme les Girondins l’étaient aussi, pour des raisons de basses manœuvres et de politique politicienne, il se déclare contre… Pour quelles raisons? À rebours de toute lecture rétrospective qui lui décernerait à cette occasion un brevet d’antimilitarisme (une occasion de lauriers dans notre époque…),  il craint qu’un chef de guerre auréolé par le prestige de conquêtes militaires puisse ensuite revendiquer un pouvoir dont il estime qu’il lui revient de droit – puisqu’il résume à lui seul le peuple et la Vertu… Post mortem, Bonaparte lui donnera raison : la gloire militaire fonde une légitimité politique.

Où l’on voit qu’une théorie du prélèvement permet de disposer d’un ROBESPIERRE farouche opposant à la peine de mort en mai 1791, mais aussi chaud partisan de son utilisation à partir de 1792 ; ou bien encore d’un ROBESPIERRE défendant la monarchie constitutionnelle en mars 1792, mais aussi quelques mois plus tard estimant que quiconque n’est pas républicain mérite le rasoir de la guillotine ; ou encore d’un ROBESPIERRE partisan de la guerre européenne fin 1791, mais aussi opposant à cette même guerre dès 1792… C’est le premier homme du « en même temps« …

Mais où est donc ROBESPIERRE? Non pas dans un moment de sa vie qu’il serait utile de placer dans un rond de lumière afin de rejeter le restant dans l’ombre, mais dans son évolution et sa position finale, dans sa totalité, dans l’aboutissement de son mouvement dialectique : ne raconter que le ROBESPIERRE abolitionniste de mai 1791, c’est rendre intellectuellement impossible le tyran sanguinaire qu’il fut pendant la Terreur et qui, justement fait de la peine de mort un instrument politique. Car la loi de Prairial, qui fut écrite par COUTHON mais sous sa dictée, permettait que le châtiment suprême devienne un instrument de gouvernement dont il fit un usage abondant, avant qu’il ne l’emporte lui-même dans la folie.

Ne voir dans ROBESPIERRE que l’homme de mai 1791, c’est : soit estimer que l’homme de la Terreur n’a pas eu lieu, ce qui est purement et simplement négationnisme ; soit savoir qu’il fut bien cet homme-là, mais le cacher afin de permettre à d’autres qui s’en réclameraient aujourd’hui d’agir comme lui le jour où ils parviendraient au pouvoir – ce qui est alors cynisme et machiavélisme. Il faut cacher ses intentions véritables par un discours ensorceleur.

Quoi qu’il en soit, sauver ROBESPIERRE, c’est toujours opter pour l’une de ces trois instances contraires à la Vertu qu’il prétendait tant tenir en haute estime : le négationnisme, le cynisme, le machiavélisme. A moins qu’il ne s’agisse de faire de ces trois vices de nouvelles vertus révolutionnaires… Dans ces cas-là, il faut le dire. Plus tard, TROTSKI se fera fort de théoriser la chose dans Leur morale et la nôtre.

La Révolution française comporte d’autres figures à célébrer, dont des femmes de la Gironde telles Olympe de GOUGES ou Charlotte CORDAY, Madame ROLAND ou Germaine de STAËL, sinon Anne-Josèphe THÉROIGNE de MÉRICOURT. Il est vrai que ROBESPIERRE a fait raccourcir les trois premières, que la quatrième a eu le temps de quitter la France qui célébrait alors la Fraternité ou la mort, et que la dernière a été incarcérée à l’asile où elle est morte folle. Choisir aujourd’hui la figure de ROBESPIERRE, c’est annoncer la couleur : c’est toujours celle du sang.

Auteur

Michel ONFRAY Philosophe

Publié le 1er août 2022

N° 096 L’ordre opérationnel n° 00447 du NKVD signé le 30 juillet 1937

Extraits de l’article mis en ligne le 18 juin 2019 :

[…] lorsque Joseph STALINE mourut, le 5 mars 1953, tous ceux qui vivaient depuis des années en ayant réglé leur montre à l’heure de Moscou, défilèrent massivement dans les rues, pour montrer avec ostentation leur profond attachement au « petit père des peuples » et leur immense tristesse.

Il fallut attendre les dénonciations des crimes de STALINE par Nikita KHROUCHTCHEV le 14 février 1956 lors de l’ouverture du XXe congrès du Parti communiste d’Union soviétique, pour que les communistes du monde entier en viennent à reconnaître peu à peu les innombrables crimes du stalinisme.

Orphelin du stalinisme, de nombreux intellectuels occidentaux ont commencé à considérer le maoïsme comme un recours. Hors de Chine, le maoïsme est devenu ainsi un mouvement politique se réclamant de MAO Zedong, de ses pensées (dont le Petit Livre rouge est un condensé) et de ses actions. Il a atteint son apogée en France et en Europe vers 1968 en attirant les déçus du modèle soviétique. […]

[…]

Après 1789, pour offrir aux « damnés de la terre » un hypothétique avenir meilleur, les intellectuels révolutionnaires, notamment en France, n’ont jamais été regardant sur les moyens mis en œuvre. Ils ont justifié continument  toutes les répressions et toutes les oppressions, dès lors qu’elles s’inscrivaient dans le sens qu’ils voulaient donner à leur histoire. À la Libération, dans tous les pays d’Europe, la justice révolutionnaire a été souvent expéditive. Les peines de mort prononcées hâtivement ont été fort nombreuses et expédiées rapidement.

Depuis la chute du Mur de Berlin, le 9 novembre 1989, la plupart des anciens communistes et communisants français se sont miraculeusement transformés en défenseurs sourcilleux des droits de l’homme. On peut  ainsi  avoir la surprise d’entendre d’anciens robespierristes,  (voire des roberspierristes  affichés),d’anciens staliniens, d’anciens maoïstes, revendiquer sans vergogne la paternité de l’abolition de la peine de mort.

Depuis sa création, l’Institut de coopération avec l’Europe Orientale a pris grand soin de ne pas distiller la haine. Trente ans après la fin du régime soviétique, sans pouvoir être accusé d’instrumentaliser l’Histoire,  ICEO se doit de saluer la mémoire des victimes du bolchevisme.

ICEO est sans haine, mais pas sans mémoire !

[Le 2 août 2022, 18 H00, P. C., Notre-Dame de la Rouvière] : Article lu avec plaisir le jour de mon anniversaire.