N°409 Guerre en Ukraine : vaincre la Russie, d’accord, mais pour quoi faire après ?

Grisée par leur victoire, la France et les alliés de la Triple-Entente ont cru mettre un point final à toute guerre en Europe, en imposant au traité de Versailles leurs seules volontés. . . On connaît la suite !

Le mercredi 12 octobre, le soir à la télévision, Emmanuel MACRON a affirmé que la France ne répondrait pas par le nucléaire en cas d’une attaque nucléaire tactique russe en Ukraine.

Les propos du président français ont fait immédiatement réagir Jens STOLTENBERG, le secrétaire général de l’Otan : « La France a sapé la dissuasion de l’Ouest en éliminant de manière unilatérale une réponse nucléaire à la Russie ? ».

Le lundi 17 octobre, sur France Info, dans l’émission Les informés, les journalistes reprirent unanimement à leur compte la déclaration du général danois, montrant par leurs discours qu’ils étaient bien mal informés, puisque le président MACRON n’a fait que dire peu ou prou la même chose que les stratèges militaires américains.

La guerre en Ukraine est un drame, mais elle aura au moins eu la vertu d’obliger les responsables politiques à arrêter de brandir n’importe quelle menace, n’importe quand et n’importe comment.

Les Ukrainiens et les Polonais accusent avec insistance le président MACRON d’être moins préoccupé par les moyens de gagner la guerre, que par la façon dont l’Europe pourrait recouvrer la paix.

En raison de ce qui à motivé sa création, non seulement ICEO ne peut pas s’associer à ces reproches irréfléchis, mais a le devoir, par fidélité à ses origines, de conforter le président dans sa détermination, en lui soumettant toutes propositions susceptibles de prendre la paix au mot.

On sait aujourd’hui que jusqu’au 15 mai 1915, le pape Benoît XV a essayé et pouvait espérer mettre fin à la Première Guerre mondiale, avec de bonnes chances d’aboutir, et qu’après cette date cela est devenu totalement impossible. On a aussi appris que les va-t-en-guerre sont d’autant plus déterminés à appeler à la guerre, jusqu’au bout, qu’ils ont l’assurance de ne pas avoir à la faire eux-mêmes.

Dans les relations personnelles comme dans les relations entre États il y a des mots qui apaisent. Pour les trouver, reste à les chercher et à avoir la bonne volonté de les prononcer. ICEO a le devoir de se mettre en quête de mots et de les dire.

En 1918, la France est sortie victorieuse de la guerre au prix de 1 327 000 morts. Enivrés par la victoire, les Français ont eu la faiblesse de penser qu’ils venaient de gagner « la der des ders ».

Épuisés par 4 ans de conflit, dans tous les pays belligérants qui se retrouvaient dans le camp des vainqueurs, les populations aspiraient à toucher au plus vite les dividendes de la paix, sans se soucier du sort des vaincus, dont ils ne savaient le plus souvent pratiquement rien.

Seul, bien seul, Jacques BAINVILLE comprit immédiatement que tout cela allait mal tourner. Dès 1920,dans Les Conséquences politiques de la paix il dénonça la façon dont, à ses yeux, le traité de Versailles de 1919 avait été mal conçu. Les termes qu’il utilisa pour résumer sa vision des choses sont restés célèbres : « Une paix trop douce pour ce qu’elle a de dur, et trop dure pour ce qu’elle a de doux. »

À l’évidence, à l’exception notable de Lech WALESA, personne ne semble s’intéresser sérieusement à ce que deviendra la Russie, une fois qu’elle aura été vaincue.

L’ancien président de la République polonaise a une proposition radicale : il a déclaré tout bravache vouloir découper en morceaux le pays qui a la plus grande superficie au monde.

Que cette idée ait traversé la tête d’un militant syndicaliste polonais, responsable politique par procuration, peut faire sourire, mais que ses propos aient si peu affolé le monde politique et diplomatique est très très inquiétant, et intellectuellement affligeant.

Au cœur de la guerre froide François MAURIAC avait confessé, : « J’aime tellement l’Allemagne que je suis ravi qu’il y en ait deux ». Cette boutade concernant des pays ne possédant pas de forces de dissuasion nucléaire n’avait rien de dramatique. Par contre, concernant la Russie, il est inconséquent de vouloir la couper en tranches, au risque de multiplier les problèmes insolubles.

Non seulement la mort de Saddam HUSSEIN en Irak, et celle de Muammar KADHAFI en Lybie, n’ont en rien fait diminuer les tensions dans le monde, mais à maints égards elles les ont notablement exacerbées.

Grâce à Mikhaïl GORBATCHEV, la disparition de l’Union soviétique s’est déroulée dans les meilleures conditions qui pouvaient être espérées au moment où elle a eu lieu.

Par contre, avec ou sans Vladimir POUTINE, il est acquis pour les observateurs politiques qui connaissent bien la Russie, que l’éclatement de la plus grande puissance nucléaire du monde ne peut s’imaginer sans drame, ni pour la paix et ni pour la planète.

C’est certainement pourquoi, depuis le début de l’invasion de l’Ukraine par les russes, les États-Unis font preuve de constance dans leur détermination à soutenir le pays agressé, mais aussi d’une évidente prudence, comme s’ils craignaient qu’une trop éclatante et rapide victoire de l’armée ukrainienne ne conduise à une immense catastrophe.

Paradoxalement, alors que les États-Unis apparaissent aujourd’hui comme les seuls à pouvoir tirer finalement bénéfice de la crise ukrainienne, les Américains sont beaucoup plus nombreux que les Européens, à faire preuve de lucidité et à dénoncer la duplicité du discours officiel de leur gouvernement. Tulsi GABBARD, qui fut candidate aux primaires démocrates pour l’élection présidentielle de 2020, est loin d’être seule à formuler de fortes critiques : « Il n’a jamais été question de moralité. Il ne s’agit pas du peuple ukrainien ou de la protection de la démocratie. Il s’agit d’un changement de régime en Russie et de l’exploitation de cette guerre pour renforcer l’OTAN et alimenter le complexe militaro-industriel. »

Une fois de plus, au nom de leurs valeurs communes, les Occidentaux se retrouvent entrainés par leur « ami américain » dans une aventure des plus hasardeuses.

Une aventure des plus hasardeuses d’un point de vue militaire, pour des raisons évidentes, étant donné la liste des belligérants explicites et implicites engagés dans le conflit, mais aussi une aventure économique et géopolitique très risquée.

Après sept mois de guerre aucun des camps ne peut prétendre avoir gagné ses paris initiaux ni être en passe de pouvoir le faire. Si on ne connaît toujours pas les paris gagnables, on sait en revanche d’ores et déjà ceux qui semblent déjà  perdus

En Ukraine, renversement rapide du gouvernement : pari perdu.

En Russie, mise à genoux et effondrement rapide de l’économie : pari perdu.

Au niveau international, isolement de la Russie  et large condamnation : pari perdu.

Les Européens, se sont pris d’un amour soudain pour l’Ukraine, qui n’a d’égal que leur ignorance du pays, et leur haine de la Russie, vieille haine savamment et longuement recuite par les néoconservateurs américains et leurs affidés.

Malheureusement pour les Ukrainiens qui ont fait tant de sacrifices, et qui ont fait preuve de tant de courage, il se pourrait fort qu’avant l’hiver les États-Unis décident les premiers d’abandonner à leur triste sort les soldats qui font la guerre pour eux, comme ils le firent à maintes reprises avec les soldats qui avaient pourtant loyalement fait la guerre avec eux.

Sur de nombreuses chaînes d’information en continu, des experts improbables expliquent à longueur d’antenne comment les Occidentaux vont gagner la guerre.

Le 7 août – L’ambiance est étonnamment joyeuse  – on rit même beaucoup sur le plateau.

Sur la plupart des chaînes de télévision en continu, des journalistes et des experts totalement inconscients, commentent les images fournies par l’armée ukrainienne comme s’il s’agissait d’un match de boxe. Ils souhaitent tous bruyamment la victoire de l’Ukraine, confortablement assis dans leurs studios. Ils comptent les coups. Ils saluent la vaillance des Ukrainiens. Aucun ne songe à demander l’arrêt du combat, comme si pour eux la défaite de la Russie était plus importante que la vie de leurs champions, plus importante que la paix, et comme si les dégâts humains et matériels subis par les populations victimes n’étaient que quantité négligeable, en dépit des protestations hypocrites de compassion. [ extrait de : Si vis pacem para pacem]

D’ailleurs dans ces débats interminables et interminablement quotidiens sur toute la gamme des chaines publiques de la télévision française, on notera qu’il ne s’agit que de débats unanimistes dans lesquels la plupart des débatteurs ne divergent que sur des points de détail dans leur approche unilatérale du conflit. L’animateur du débat y est lui-même engagé au lieu d’en être l’arbitre et le modérateur.

On n’assiste donc jamais – où très exceptionnellement – à un débat contradictoire qui confronterait des représentants de la vision ukrainienne à des représentants de la vision russe du conflit, dans ses causes, son déroulement et ses conséquences futures.

Et si d’aventure et par mégarde un intervenant plus objectif était invité qui semblerait soucieux de prendre en compte la position russe, on ne le reverra plus sur le plateau de l’émission, sur lequel on revoit au contraire  très souvent les mêmes supposés et doctes  « experts » aux côté des belles et charmantes « passionarias » ukrainiennes qui, elles, évidemment, défendent farouchement et sans nuance le parti de leur gouvernement. 

Très inquiets de la tournure des évènements, trois officiers français d’expérience, invités pat l’association Dialogue Franco-Russe, ont accepté de livrer leurs analyses et leurs recommandations pour essayer de ne gâcher aucune chance de paix.

Les propos de ces militaires sont certainement critiquables, et ne manqueront pas de faire réagir, mais pour pouvoir les critiquer sérieusement, pour donner toutes ses chances à la paix, faut-il encore avoir fait l’effort de les écouter intégralement, en s’assurant de les avoir bien entendus et bien compris.

Ukraine: OTAN-Russie – quelles relations pour l’après -guerre?

Général Vincent DESPORTES – ancien directeur de l’École de guerre ; professeur des universités associé à Sciences Po et enseignant la stratégie à École des hautes études commerciales de Paris; ancien attaché militaire près l’ambassade de France aux États-Unis.

[Le 20 octobre 2022, 15h 15, J-B.P., Cap d’Agde] – A propos de la recherche de la paix qui mettrait fin aux souffrances et aux massacres de part et d’autre, on pourrait avancer le commentaire ci-après, qui fera peut-être hurler les va-t-en-guerre de tous bords : cette guerre aurait été évitée si l’Ukraine, au lieu de se lancer dans une course à l’OTAN dès le début des années 2000 et la révolte du Maïdan en prêtant l’oreille à de mauvais conseillers, intéressés à la prendre sous leur coupe, avait tenu compte à la fois de sa composition culturelle et ethnique et de sa position géographique charnière. Elle aurait dû avec sagesse se doter d’un statut interne plus ou moins fédéral qui aurait satisfait le Donbass et d’un statut international de neutralité qui aurait rassuré Moscou.

Elle aurait ainsi gagné la paix tout en vivant selon les normes occidentales et dans un cadre démocratique. Elle n’a su faire ni l’un ni l’autre, étant en outre un des pays les plus corrompus d’Europe. Pourtant l’exemple de la Finlande et celui de l‘Autriche, en situation géographique aussi critique (sans parle de celui de la Suisse lors de la deuxième guerre mondiale) aurait dû l’inspirer. Les Autrichiens, les Finlandais, les Suisses vivent-ils moins bien en étant neutres ? Et la Finlande voudrait maintenant sortir de ce statut qui lui allait si bien et lui a pourtant permis de prospérer ? Pour des raisons obscures que l’on ne peut détailler ici, l’Ukraine n’a pas voulu choisir cette solution de sagesse. Français et Allemands n’ont pas su lui imposer le respect des accords de Minsk 2.

 Elle paie maintenant les conséquences d’une politique suicidaire, même si la guerre a formellement été déclenchée par la Russie et il est peut-être trop tard pour y revenir sans se déjuger. Ne reste-t-il donc, de part et d’autre, que le jusqu’auboutisme soutenu par tous ceux, aveuglés par leurs détestations ancestrales, qui croient avoir raison à jouer les boutefeux tant que cette guerre ne les touche pas directement ? Quelle solution transactionnelle reste-t-il envisageable pour revenir à la paix, mettre fin aux massacres, éviter l’escalade vers le pire pour l’Europe entière ? Il faudra savoir tenir compte des données historiques, savoir aussi entendre les raisons et les craintes de toutes les parties en cause, directement ou indirectement. Et trouver des arbitres qui sachent rester neutres et non parties. Ce sera peut-être le plus difficile !

[Le 18 octobre 2022, 19 H45, J. B., Paris] : Chers Amis, il sera fait état de l’excellent article paru sur le site d’ICEO sur l’Ukraine dans la prochaine lettre aux abonnés du CAS. Les imbéciles qui veulent dépecer la Russie veulent-ils donc que la Sibérie tombe entre les mains de la Chine ? Dans cette affaire la bêtise ne semble pas avoir de limite.

[Le 18 octobre 2022, 16 H30, J. C., Nice] :  La paix ne tombera pas du ciel. Tous ceux qui aiment la paix doivent avoir le courage de faire rapidement leur déclaration d’amour.

[Le 18 octobre 2022, 12 H50, A. F., Annecy] :  La semaine  dernière dans le numéro de Marianne publié le 12 octobre,  j’ai lu un :  article d’ Emmanuel TODD « Géopsychiatrie de l’Europe », que je vous invite à découvrir. Emmanuel TODD analyse bien la « folle » attitude de l’Union européenne.

[Le 18 octobre 2022, 0 H30, J-M. R., Alet-les-Bains] : Voila une suite à l’article et un diagnostic réaliste :Alain JUILLET (ex-DGSE) : « Je vous conseille d’apprendre à manger du riz » – [Grand Entretien] 

[Le 17 octobre 2022, 18 H45, O. D., Bamako] : Lorsque les Russes rappellent l’implication de néonazis dans tous les mauvais coups que les États-Unis ont essayé de leur porter depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le philosophe BHL est là pour s’inscrire le premier en faux.

Que serait une guerre sans le concours cinématographique de Bernard-Henri LÉVY ? De même que les conflits armés ne sont véritablement importants que lorsque BHL prend la peine de se rendre sur place pour s’y faire photographier, les nazis néo ou anciens ne peuvent être traités de nazis que lorsque le philosophe germanopratin les a estampillés comme tels. Malheureusement avec l’âge, la vigilance, la vue, et l’honnêteté intellectuelle de BHL diminuent à l’évidence de plus en plus.

À moins que, comme HIMMLER, qui s’était accordé le privilège de décider seul qui était juif et qui ne l’était pas, BHL ait désormais la folle prétention de décider seul, lui aussi, qui est nazi et qui ne l’est pas ?

En Ukraine, il nous explique aujourd’hui ce qu’il faut penser de la situation, qui sont les gentils et les méchants et quelle devrait être la voie de la paix ; pourquoi il faut faire la guerre sans l’aimer.

Les Européens de l’Ouest et les Américains ont largement oublié, ou plus exactement ont tout fait pour faire oublier comment ils avaient pu recycler préférentiellement les experts nazis, avant même que la guerre ne soit finie, pour les mettre à leur service.

En revanche durant la guerre froide, les Russes, eux, ont tout fait pour dénoncer le débauchage et le recyclage massif des cerveaux nazis dont ont pu bénéficier les Occidentaux.

Les étudiants africains qui ont fait tout ou partie de leurs études en Union soviétique sont nombreux à se souvenir de ce qu’ils ont appris et compris durant leur séjour en Europe Orientale. Les plus curieux ont pu facilement vérifier qu’accuser les Américains de collusion avec les milieux néonazis n’était pas du tout infondé.

Le 14 octobre, sur la chaîne Afrique Média, un chroniqueur explique longuement comment les Américains ont retourné les nazis à leur service depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. La question en titre de la vidéo est obscure, mais la réponse du locuteur est très claire : Comment expliquer les condamnations internationales contre la Russie?